Christophe-Philippe Oberkampf (1738-1815)
Protestant venu de Suisse, Oberkampf crée en 1760, à Jouy-en-Josas (Yvelines), une manufacture de toiles imprimées qui atteint une notoriété internationale. Il crée ensuite une filature à Essonnes.
La réussite du chef d'entreprise
Christophe-Philippe Oberkampf, né à Wiesenbach (Brandebourg-Anspach), est le descendant d’une lignée de teinturiers luthériens du Wurtemberg. Il apprend le métier chez son père, établi à Aarau en Suisse comme fabricant d’indiennes (toiles imprimées).
En 1756, à dix-huit ans, le jeune Oberkampf acquiert son indépendance et entre comme graveur à la manufacture d’impression de Samuel Koechlin et Henry Dollfus à Mulhouse. En 1758, il entre comme graveur puis coloriste, chez M. Cottin, dans le quartier de l’Arsenal à Paris.
En 1760, associé à Antoine de Tavannes, il imprime ses premières toiles à Jouy-en-Josas. Ce site a l’avantage d’être au bord de la Bièvre, dans un vallon champêtre où des terrains sont disponibles ; il est aussi à proximité de Versailles.
A ses débuts, Oberkampf bénéficie de l’aide de son père : procédé d’impression du bleu inventé par son père, envoi d’ouvriers qualifiés et achat de toiles de grande largeur et de produits pour la teinture, difficiles à trouver en France.
Oberkampf acquiert des terrains et procède à des constructions de nouveaux bâtiments en 1764, 1765, 1791, 1805, pour suivre la demande en toiles imprimées.
La production de la Manufacture connaît un immense succès en France et à l’étranger. La Cour apprécie la qualité des indiennes de Jouy et la beauté des dessins.
En 1770, Oberkampf obtient sa naturalisation. En 1783, le roi Louis XVI accorde à l’établissement de Jouy les prérogatives de Manufacture Royale puis, en 1787, il décerne des lettres de noblesse à Oberkampf.
La Révolution, le Consulat et l'Empire
Sous la Révolution, Oberkampf maintient sa manufacture en état de marche, grâce à beaucoup d’habileté et à la cohésion de toute sa famille, au prix d’un certain opportunisme politique. Il souscrit des emprunts d’État, se fait élire maire de Jouy en 1790 et réélire en 1791. La garde nationale de Jouy, formée en 1791, est commandée par son neveu Samuel Widmer, tandis que la Société populaire de Jouy, créée fin 1793, a pour président et secrétaire Samuel Widmer et James Petineau, respectivement neveu et beau-frère d’Oberkampf. En 1794, la manufacture est déclarée utile à la République par le Comité de salut public et reçoit la visite de Georges Couthon, l’un de ses membres.
Pourtant, en 1794, un graveur de la manufacture nommé Voët porte, contre Oberkampf, l’accusation de « modérantisme » et de royalisme et le dénonce au Comité de sûreté nationale. Heureusement, cette plainte n’aboutit pas. Par la suite Oberkampf acceptera de refaire travailler Voët à la manufacture.
Sous le Consulat, les affaires reprennent : en 1803, l’effectif culmine à plus de 1300 personnes . La manufacture de Jouy est devenue la troisième entreprise industrielle de France, après les Mines d’Anzin et la manufacture de glaces de Saint-Gobain.
En 1806, Napoléon vient lui-même à Jouy, avec l’impératrice Joséphine et décore Oberkampf de la Légion d’honneur. Napoléon revient en 1810 avec l’impératrice Marie-Louise.
Pour faire face à la la difficulté d’approvisionnement en toile, Oberkampf achète le domaine de Chantemerle à Essonnes, où il fait construire une filature et une tissanderie qui démarrent en 1810.
La région de Jouy est occupée en 1814 par les cosaques et en 1815 par les Prussiens. Les manufactures doivent s’arrêter.
C’est alors, en octobre 1815, qu’Oberkampf meurt après 55 ans d’activité industrielle. Il avait réussi alors qu’il était étranger, ne sachant pas le français, protestant arrivé en France avant l’édit de tolérance de 1787 et sans argent.
Il est à l’origine d’une industrie qui dure 134 ans.
Continuation de l’activité industrielle après la mort d'Oberkampf
Le partage de la succession d’Oberkampf intervient seulement fin 1820. La manufacture de Jouy est reprise par Émile, le fils d’Oberkampf. Celui-ci s’associe avec Samuel Widmer en 1821 mais Samuel meurt cette même année. Émile s’associe alors avec Jacques Juste Barbet dit « de Jouy ».
En juin 2012, Barbet devient le seul propriétaire car Émile Oberkampf doit se retirer pour raison de santé. L’heure du déclin sonne vite. L’industrie supplante peu à peu l’artisanat, on fabrique des toiles imprimées à des prix en baisse, le goût et la mode changent.
La fermeture de la Manufacture est définitive en 1843. Le patrimoine industriel est dispersé et la plupart des bâtiments démolis.
Il ne subsiste aujourd’hui qu’une partie de la maison d’Oberkampf, laquelle abrite la mairie de Jouy-en-Josas, et l’ancien moulin des calandres, surélevé au début du XXe siècle.
La filature d’Essonnes est plus durable : elle est reprise par Louis Feray, gendre d’Oberkampf, puis dirigée pendant cinquante ans par Ernest Feray, fils de Louis et petit-fils d’Oberkampf, qui développe un atelier de construction mécanique (turbines et pompes hydrauliques, matériels pour la meunerie et la papeterie). L’établissement reste dans la famille, jusqu’à la fin en 1894, trois ans après la mort d’ Ernest Feray.
Une famille protestante
L’histoire, année par année, de la vie et de la famille d’Oberkampf et de sa manufacture de Jouy est rapportée par un de ses neveux, Gottlieb Widmer, dans le Mémorial de la manufacture de Jouy, dont une copie est conservée au musée de la Toile de Jouy.
Le premier mariage d’Oberkampf, avec Marie-Louise Petineau, est célébré en 1774
par un pasteur luthérien à l’ambassade de Suède, à Paris sans attendre l’autorisation royale demandée. Lorsque celle-ci arrive sept ans plus tard, les époux font à nouveau bénir leur union, cette fois à l’ambassade de Hollande à Paris par le chapelain calviniste. L’acte fait mention que les enfants ont été reconnus légitimes et baptisés à la paroisse catholique de Jouy : ils ont ainsi eu un état civil officiel.
A la mort de Mme Oberkampf en 1782, ses cendres sont ensevelies dans le jardin de la manufacture, faute de pouvoir l’être dans le cimetière réservé aux catholiques. Aucun acte régulier n’est porté sur le registre de la paroisse : seule une mention, non signée et en abrégé, y figure en dernière page.
Oberkampf se remarie en 1785 avec Élisabeth Massieu de Clerval : le mariage est célébré à la chapelle de l’ambassade de Hollande, cette fois avec une permission royale, arrivée à temps.
Seuls quatre des enfants d’Oberkampf parviennent à l’âge adulte : Julie du premier mariage puis Émile, Émilie et Laure du second mariage.
Oberkampf a le souci de bien établir ses enfants, ainsi que ses six neveux, dans la société protestante française. On constate de nombreux mariages entre quelques familles protestantes, dont celles des Petineau, des Massieu, des Feray et des Mallet, et la famille d’Oberkampf. Ainsi Émilie et Laure Oberkampf épousent deux frères Mallet, Jules et James.
Pour l’aider dans ses affaires, Oberkampf prend d’abord son frère Frédéric, pour lequel il achète ensuite, à Corbeil, une petite manufacture d’impression sur toile, appelée l’Indienne. Il s’entoure de ses six neveux Widmer qu’il fait venir de Suisse, de ses deux beaux-frères Petineau et plus tard de ses gendres Louis Feray et Jules Mallet et de son fils Émile Oberkampf.
Samuel Widmer est à l’origine de plusieurs inventions qui ont contribué à l’avance technique des manufactures d’Oberkampf.
L’importance et la renommée de l’industrie d’Oberkampf ont fait que son nom a été donné à une rue et à une station de métro à Paris et que le deux-centième anniversaire de sa mort a été retenu parmi les commémorations nationales de 2015.
Bibliographie
- Sites
- Livres
- CHASSAGNE Serge, Oberkampf, un entrepreneur capitaliste au siècle des Lumières, Réédité : Oberkampf, un grand patron au siècle des Lumières, Aubier, Paris, 2015
- LABOUCHERE Alfred, Oberkampf (1738-1815), Accessible sur Gallica, L. Hachette et Cie, 1866
- MALLET Etienne, Oberkampf, vivre pour entreprendre, Télémaque, 2015
- WIDMER Gottlieb, Mémorial de la manufacture de Jouy, Copie conservée à la bibliothèque du musée de la Toile de Jouy, Jouy-en-Josas
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