Jean-Jacques Rousseau (1712-1778)

Jean-Jacques Rousseau, philosophe du siècle des Lumières, est un penseur épris de justice. De grande véhémence dans ses combats, il s’est bien souvent senti incompris. Son œuvre souligne que, pour vivre ensemble dans l’harmonie que suggère la beauté de la nature, pour vivre ensemble dans le respect de son prochain si différent de soi, il faut une volonté active et donc une attention vigilante aux contradictions que secrète la vie en société.

Enfance à Genève

  • Jean-Jacques Rousseau (1712-1778)
    Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) © Collection Château de Coppet

C’est à Genève que Jean-Jacques Rousseau est né, le 28 juin 1712. S’il fut toujours attaché à sa ville natale, ne manquant jamais, à partir de 1750, d’apposer à la signature de ses nombreux écrits, la mention rappelant qu’il était bien Citoyen de Genève, il n’y vécut que fort peu de temps.

Essentiellement, ce fut le temps de sa petite enfance, assombrie par la mort précoce de sa mère (qui était fille de pasteur), mais aussi heureuse en compagnie d’un père qui l’entourait d’une grande affection et l’encouragea à de multiples lectures (parfois stupéfiantes pour son âge). Dès l’adolescence, et alors qu’il avait été mis en apprentissage chez un graveur par son oncle, il décida de « s’enfuir ». Ce fut le début d’une longue et remarquable odyssée.

Conversion au catholicisme et années de formation

  • Les Charmettes, maison de Madame de Warens, dessin de Töpfer
    Les Charmettes, maison de Madame de Warens, dessin de Töpfer © Collection Privée

C’est d’abord à quelques kilomètres de Genève, en Savoie, chez Madame de Warens, que l’adolescent s’est arrêté. L’amie exceptionnelle, de 12 ans son aînée, assure sa conversion au catholicisme – prix de sa décision de s’établir en France ; elle lui donne les éléments les plus précieux de sa formation, y compris musicale, et éveille son attention aux richesses de son environnement, favorisant ainsi les multiples questions qu’il n’a cessé par la suite de se poser sur le « vivre en société ».

Une rupture avec Madame de Warens le conduit à Lyon (1740), puis à Paris (1742) où, étant donné sa culture et grâce à des lettres de recommandation, il est immédiatement plongé dans les milieux savants, ceux des Lumières et de l’Encyclopédie. Ses relations et ses compétences lui valent d’être nommé secrétaire d’Ambassade à Venise (1743) où il fait, entre autres, la connaissance de Goldoni et où il fait l’apprentissage des arcanes – troublantes – de la politique.

Il revient à Paris (1745). L’infatigable voyageur y fait désormais de longs séjours, et y fréquente les milieux de l’Encyclopédie avec lesquels il travaille. Mais il ne se fixe pas vraiment dans la Capitale, tant ses relations avec les autres sont traversées de tensions, de ruptures, d’explications houleuses (avec d’Alembert, Diderot, pourtant son plus attentif ami, Voltaire, etc.).

Premiers pas vers la célébrité, le Discours sur les Sciences et les Arts

C’est en 1749 que Rousseau s’engage dans les écrits philosophiques qui l’ont rendu célèbre auprès de ses contemporains. L’épisode est connu : alors qu’il rend visite à Diderot emprisonné à Vincennes pour avoir publié sa Lettre sur les Aveugles, il prend connaissance d’une question mise au concours par l’Académie de Dijon : « Le progrès dans les arts et les lettres épure-t-il ou corrompt-il les mœurs ? » Ce thème le galvanise (on parle de « l’illumination de Vincennes »).

Encouragé par Diderot, il rédige le Discours sur les Sciences et les Arts, un essai dans lequel il fait apparaître qu’il n’y a pas de relations de cause à effet entre le progrès des arts et techniques et l’amélioration des mœurs. Le problème des mœurs se rapporte en effet d’abord à celui de la nature juridique des institutions sociales.

Son mémoire ayant été couronné, sa célébrité est acquise. Genève le reconnaît comme l’un des siens. Il revient alors (1754) au protestantisme, et ce, de manière éclatante puisque Genève ne juge pas même nécessaire de lui demander le repentir qu’aurait supposé son apostasie.

L'œuvre philosophique

Il veut alors préciser, enrichir, les principales hypothèses de son mémoire. Un problème, en particulier, le hante, celui de la dysharmonie entre les beautés de la nature et les injustices que multiplie une vie en société traversée par toutes les perversions que les institutions y introduisent. Serait-ce là une fatalité ?

Réfléchissant sur une histoire des sociétés, dont il souligne celles des étapes qui lui paraissent les plus significatives depuis l’âge paléolithique, il suggère que, là où des normes sont imposées autoritairement au nom d’une loi naturelle, des choix rationnels auraient été, seraient, possibles. Il suggère qu’une volonté d’action, fondée sur la réflexion, peut orienter l’évolution des sociétés vers un réel progrès social, vers une harmonie dont la nature donne l’exemple.

Mais, sauf le succès de la Nouvelle Héloïse (1759), les travaux qui font état de sa réflexion et de son ambition réformatrice, le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité (1754), le Discours sur l’économie (1755), sont moins bien reçus.

La critique se fait très virulente lorsque parait, en 1762, d’une part le Contrat social, d’autre part l’Émile, auquel il a adjoint la Profession de foi du Vicaire savoyard (1762).

Le « scandale » de L'Émile

  • Emile ou de l'Education de Jean-Jacques Rousseau
    Emile ou de l'Education de Jean-Jacques Rousseau © S.H.P.F.

Dans l’Émile, Rousseau pose le problème de l’éducation. Ceux qui ont la responsabilité d’accompagner l’enfant vers sa vie d’adulte assument-ils leur charge ? En ont-ils les moyens et l’intelligence ?

Se fondant sur ce paradoxe que l’enfant est né bon, tandis que l’adulte, plongé dans un monde injuste et contraire à l’harmonie que la nature suggère, est devenu lui-même injuste, Rousseau élabore les grands principes d’une éducation juste et équilibrée. Il les accompagne d’exemples très concrets et parfois surprenants.

Outre le fait d’apprendre à l’enfant l’amour et le respect de la nature, l’une des visées de l’éducation est l’apprentissage du commerce avec les autres, avec l’autre, son semblable pourtant si différent de soi. Il faut que l’enfant puisse éprouver en douceur, la réalité de cet inévitable obstacle pour trouver les moyens de la surmonter, pour éviter qu’elle ne se traduise en agressions répétées pendant la vie adulte. Ainsi sera peu à peu formé le citoyen adulte responsable, celui qui peut exercer une compétence dans la cité, dans le souci d’un progrès des mœurs.

Voltaire fait alors méchamment observer que Rousseau qui, dans sa liaison avec Thérèse Levasseur, a eu 5 enfants, bien loin de se préoccuper de leur éducation, les a tous abandonnés à l’hospice. Le fait était là. Mais le propos de l’Émile n’était-il pas aussi de prévenir de semblables drames, en portant le problème de l’éducation au plan des responsabilités qui touchent à la vie collective ?

Les Confessions

  • Rousseau déménage avec un attelage de l'Ermitage, illustration de Maurice
    Rousseau déménage avec un attelage de l'Ermitage, illustration de Maurice © Collection J-J Money

Blessé par l’accusation de Voltaire, Rousseau prit alors la décision de se défendre, d’expliquer ce qu’avait été sa vie, sans dissimuler ses difficultés, et donc ses contradictions. C’est la rédaction de cette œuvre si impressionnante que sont les Confessions, un genre littéraire inauguré longtemps auparavant par Saint Augustin. Rousseau a donné, dans cette œuvre posthume, commencée en 1769, le fil conducteur de son parcours traversé de passions et souvent sinueux : cette exigence de vérité, d’authenticité, de cohérence, qui l’habite et qui ne peut le céder devant le conformisme de règles sociales, car celles-ci ne produisent, le plus souvent, qu’un ordre injuste et sans rapport avec l’harmonie de la nature.

Que la trompette du jugement dernier sonne quand elle voudra, je viendrai, ce livre à la main, me présenter devant le souverain juge. Je dirai hautement : « Voilà ce que j’ai fait, ce que j’ai pensé, ce que j’ai dit… J’ai dévoilé mon intérieur tel que tu l’as vu toi-même. Être éternel, rassemble autour de moi l’innombrable foule de mes semblables ; qu’ils écoutent mes confessions, qu’ils gémissent de mes indignités, qu’ils rougissent de mes misères. Que chacun d’eux découvre à son tour son cœur aux pieds de ton trône avec la même sincérité ; et puis qu’un seul te dise, s’il l’ose, je fus meilleur que cet homme-là.

À la fin de sa vie, il ne cesse de fuir ses semblables en multipliant ses déplacements. Malgré les efforts de quelques amis fidèles, il se plonge dans la solitude et écrit les Rêveries du Promeneur solitaire.

Rousseau est mort le 2 juillet 1778 à Ermenonville où, grâce à la complicité du Marquis de Girardin, il avait pu se retirer avec Thérèse Levasseur, sa compagne de 40 ans, devenue en 1768, sa femme. Ses cendres ont été transférées au Panthéon en 1794.

Le rapport de Rousseau à la religion

Quoi qu’il en ait été de ses allers et retours avec le catholicisme, Rousseau n’a jamais oublié l’éducation protestante de sa petite enfance.

Certes, comme beaucoup de ses contemporains, Rousseau s’est montré très critique à l’endroit d’institutions religieuses quelque peu obsédées par le primat de leur pouvoir temporel. Et il a notamment dénoncé l’autorité dont celles-ci abusaient au nom de la « vérité révélée ». Au nom de cette « vérité », dont elles se réservaient le maniement exclusif, trop de contre-vérités se faisaient jour. C’est ce que Rousseau exprime dans la Profession de foi du Vicaire savoyard.

Voir le dossier sur Jean-Jacques Rousseau sur le site Memo

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