La théologie protestante
au XXe siècle
Dans la pensée et la recherche théologiques du protestantisme français durant le vingtième siècle, on peut distinguer trois périodes.
Jusqu'à la fin des années 20
Cette période continue le XIXe siècle et n’apporte rien de très nouveau ni différent. L’influence du symbolo-fidéisme d’Auguste Sabatier (1839-1901) et d’Eugène Menegoz (1838-1921) est considérable. Ces deux professeurs de la Faculté de Théologie de Paris accordent aux doctrines une valeur symbolique et refusent d’en faire des absolus. Durant cette période, Wilfred Monod (1867-1943) développe une théologie du Royaume qui domine dans le « christianisme social ». Pour Monod, ce monde de souffrances est contraire à la volonté divine. Le Christ doit vaincre son hostilité et le conquérir pour y installer le Royaume de Dieu.
Des années 30 aux années 70
En Allemagne apparaît une nouvelle génération théologique en rupture avec la précédente. La guerre de 14-18 marque un tournant ; elle met fin à un optimisme qui fait confiance au progrès et aux capacités humaines. La tentative libérale d’allier la culture avec l’évangile paraît à beaucoup une erreur. L’évangile secoue, conteste, met en crise les réalisations de l’humanité. Le salut ne peut pas venir de ce qu’il y a de meilleur en elle. Il implique l’intervention et la révélation du Dieu « tout autre ». Cette théologie comporte plusieurs tendances. La plus importante est représentée par le Suisse Karl Barth (1886-1968), qui écrit une œuvre imposante en quantité et en qualité, et à qui son opposition résolue au nazisme donne beaucoup de poids.
Dès 1930, cette « nouvelle théologie » se répand rapidement en France, non sans des polémiques parfois très dures d’abord contre les libéraux, mais aussi contre les orthodoxes considérés comme dépassés (ces deux courants subsistent cependant). L’influence de Barth se fait sentir, entre autres, chez Pierre Maury (1890-1956), Roland de Pury (1907-1979), Jacques Ellul (1912-1994), Roger Mehl (1912-1997) qui animent la vie théologique du protestantisme français après la deuxième guerre mondiale.
Se développe également, en consonance (mais non en identité) avec le « barthisme », le « renouveau biblique », principalement animé par Suzanne de Dietrich (1891-1981). Ce courant préconise une lecture de la Bible qui, sans ignorer son caractère historique, y cherche un message venant de Dieu. Oscar Cullmann (1902-1999) voit dans l’histoire du salut la notion clef du message du Nouveau Testament (la révélation ne se fait pas seulement dans l’histoire, elle est histoire).
Les théologiens d’autres orientations sont marginalisés ; c’est le cas d’Albert Schweitzer (1875-1965) dont les travaux en Nouveau Testament et en éthique ne trouvent pas grande audience durant cette période.
A partir des années 70
De nouveaux courants théologiques apparaissent dans le protestantisme français.
Ainsi, on médite les papiers de prison du pasteur martyr des nazis Dietrich Bonhoeffer (1906-1945). Il y préconise un « christianisme non religieux », plus attentif à aider les humains qu’à s’imposer dans la société. Les « théologiens de la mort de Dieu » (surtout américains) radicalisent ce thème, que Bonhoeffer n’a fait qu’esquisser. Pour eux, au cœur de l’évangile se trouve l’appel à une vie authentiquement humaine et non l’affirmation d’un Dieu transcendant.
De même, on s’intéresse à la « démythologisation ». Selon Rudolf Bultmann (1884-1976), le Nouveau Testament utilise les catégories mythologiques du monde antique qui ne correspondent plus aux nôtres. Il faut, à travers une mythologie caduque, retrouver le sens existentiel du message évangélique.
On traduit en français Paul Tillich (1886-1965) dont la pensée essaie d’articuler la philosophie avec la théologie sans les confondre. Tout en affirmant l’autonomie de l’évangile, d’une part, et celle de la culture, d’autre part, il cherche à les mettre en corrélation.
La théologie de la libération, venue d’Amérique du Sud, est représentée et défendue en France par Georges Casalis (1917-1987), qui plaide pour que la réflexion théologique parte du vécu et non de doctrines a priori. Les théologies contextuelles tiennent compte des diverses cultures (africaine, antillaise, océanienne, etc.) et des situations concrètes (celles de la femme, de la vie urbaine, de la sécularisation occidentale, de l’exploitation économique). Cette théologie favorise des engagements politiques nettement à gauche (voir le document Église et pouvoirs, publié en 1971 par la Fédération Protestante de France).
Dans les études bibliques, après une courte percée du structuralisme (qui s’intéresse à la structure littéraire des textes), on insiste sur la narrativité qu’il ne faut pas réduire au « conte biblique » ; elle se fonde sur la primauté du langage qui détermine l’action et l’être. Les humains forgent leur identité par des récits. Par conséquent, la Bible se doit se raconter plutôt que faire l’objet d’un commentaire doctrinal.
Sans se rattacher à aucun courant, et sans être lui-même un théologien, le philosophe protestant Paul Ricoeur (1912-2005 ) travaille beaucoup sur le langage et propose une réflexion sur l’herméneutique biblique (la manière d’interpréter les textes bibliques) ample, profonde et complexe.
Dans les vingt dernières années du siècle, apparaît un néo-luthéranisme, souvent polémique qui se réclame de la « théologie de la croix » (Dieu se révèle dans sa faiblesse et sa défaite et son impuissance et non en gloire et en puissance), et qui tisse des liens avec certains courants de la psychanalyse, des sciences humaines et de la réflexion philosophique sur les sciences. En même temps, on découvre la théologie américaine du Process, qui renouvelle des thèmes du libéralisme, et qui voit avant tout en Dieu un dynamisme transformateur.
Par ailleurs, un néo-calvinisme à la fois assume et actualise son héritage. Se développent aussi des courants « evangelicals » (ils se nomment eux-mêmes « évangéliques ») avec un message fort et simple, qui n’apportent, en général, pas grand chose à la réflexion théologique
A la fin du vingtième siècle, la situation théologique du protestantisme français présente quatre caractéristiques
- Il n’y a pas de courants dominants ni de tendances tranchées. On constate un éparpillement, sans lignes directrices nettes et avec quantité d’interférences. Le protestantisme connaît et vit, encore plus que dans le passé, un pluralisme théologique avec des débats constants mais rarement des oppositions violentes. La réflexion théologique vit une période de recherches et de tâtonnements plus que d’affirmations catégoriques et d’affrontements.
- La fin du vingtième siècle renoue avec certaines des préoccupations du début du siècle (la valeur des autres religions, le lien avec la culture, l’articulation de la foi et des sciences humaines, l’importance de la spiritualité) qui avaient été mises de côté durant la deuxième période pour faire droit à d’autres urgences.
- La recherche théologique protestante ne se fait plus, comme auparavant, en vase clos. Elle est devenue largement intercontinentale, malgré les distances et les barrières linguistiques. Elle a pris une forte dimension « œcuménique ». Catholiques et protestants collaborent étroitement et ont des échanges fréquents. Les différences confessionnelles subsistent ; elles n’empêchent plus les théologiens de travailler ensemble.
- Le vingtième siècle présente une grande richesse théologique. Les Églises protestantes (surtout réformées et luthériennes) se préoccupent de rendre cette richesse accessible au plus grand nombre possible de fidèles. La formation théologique prend place parmi les objectifs prioritaires qu’elles poursuivent.
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