Samuel Vincent (1787-1837)
Le pasteur Samuel Vincent est un représentant typique du protestantisme français méridional du début du XIXe siècle. Par ses écrits et les revues de théologies qu’il fonde, il contribue à développer la réflexion théologique en France.
Le contestataire de Lammenais
Samuel Vincent est né en 1787, l’année même où l’Édit de Tolérance de Louis XVI rendit aux protestants, non toutes leurs prérogatives, du moins le droit de vivre normalement en France. Il est ainsi le représentant typique d’une nouvelle génération pastorale qui a grandi sous la Révolution, le Directoire et l’Empire, et a donné le ton au protestantisme français de l’intérieur sous la Restauration et la Monarchie de Juillet. Après des études à Genève, toute l’activité pastorale de Vincent s’est déroulée à Nîmes, et il peut être considéré comme un représentant non moins typique du pôle méridional, non parisien, du protestantisme français au début du XIXe siècle.
Appelé à présider un culte destiné à marquer le retour des Bourbons sur le trône de France, le 5 juin 1814, il marqua fortement la différence entre protestantisme et catholicisme en posant que « la variété d’opinions et d’idées, dès qu’elle est accompagnée de charité, loin d’être un mal pour la religion, est un véritable bien. Elle encourage les recherches, favorise les progrès des lumières, dissipe peu à peu les erreurs, épure la religion et fait triompher la vérité. »
L’évolution de la situation n’a pas tardé à le faire monter en première ligne pour défendre ce point de vue. En 1817, l’abbé Félicité de La Mennais (ou Lamennais) publiait son célèbre Essai sur l’indifférence en matière de religion qui soutenait « la nécessité de l’unité en matière de foi, et d’une autorité permanente et décisive pour la maintenir », et contenait de sévères attaques contre le protestantisme, présenté comme étant dès son origine la source de toute rébellion. Seul parmi les protestants, Vincent a répondu à Lamennais en 1820 par un premier livre de 223 pages intitulé Observations sur l’unité religieuse, en réponse au livre de M. de La Mennais, suivi la même année d’Observations sur la voie d’autorité appliquée à la religion qui répondaient à une seconde attaque, plus directe encore, de Lamennais. Vincent y reprenait et développait l’idée déjà avancée dans son sermon de 1814, mais avec une force et une largeur de vues qui, d’emblée, faisaient de lui un penseur avec lequel il fallait désormais compter.
Le théologien
Vincent avait déjà contribué au réveil de la pensée protestante française en publiant deux traductions d’ouvrages anglais : en 1817 la Philosophie morale de William Paley, et en 1819 Des preuves et de l’autorité de la révélation chrétienne de Thomas Chalmers. En 1820, il a franchi un pas de plus, décisif pour le protestantisme français de son temps, en commençant à publier une importante revue de théologie intitulée Mélanges de religion, de morale et de critique sacrée (10 vol. de 1820 à 1825). C’est ainsi que, à côté de nombreux morceaux originaux, il a été l’un des premiers à signaler les options théologiques de Schleiermacher, et surtout à montrer l’importance de Kant pour la morale et la théologie protestantes. Les circonstances ayant interrompu la publication des Mélanges, il revint à la charge en 1830-1831 avec quatre volumes d’une autre revue, Religion et christianisme.
Entre temps, il avait publié en 1829 son ouvrage le plus important et le plus riche en ouvertures théologiques sur le nouveau siècle : Vues sur le protestantisme en France (2 vol.).
« Le fond du protestantisme, c’est l’Évangile ; sa forme, c’est la liberté d’examen. » Souvent citée, cette phrase situe fort bien la perspective générale de cet ouvrage. Vincent y distingue nettement entre la religion, ou foi vivante des fidèles, et l’organisation ecclésiastique. L’Église rappelle-t-il, n’est pas nécessaire au salut ; elle doit seulement se montrer utile et efficace, et elle ne le peut qu’a condition de reconnaître à chacun sa pleine liberté d’examen, en particulier en matière de foi. Vincent marque aussi la distance entre la Bible et la révélation proprement dite, qui est avant tout un fait de conscience, et même de conscience individuelle. C’est dire que, pour lui, la Réforme ne se limite pas à ce qu’ont dit ou écrit les réformateurs ; ils ne pouvaient déployer d’emblée toutes ses virtualités.
Vincent est de ceux pour qui liberté spirituelle et libre examen vont de pair. Cela fait de lui l’un des grands initiateurs du courant libéral dans le protestantisme d’expression française. Plutôt optimiste dans sa vision de l’être humain (sa conception de la liberté l’implique et il ne parle pas de péché « originel »), il entendait que la liberté d’examen porte également sur les écrits bibliques qu’il entend soumettre à un examen scientifique, au sens des méthodes historiques en usage de son temps.
Simultanément, Vincent a été très attentif à développer la piété individuelle des fidèles, mais en mettant ses coreligionnaires en garde contre les conceptions toutes faites de la foi. La foi suppose un effort constant et personnel de pensée et de liberté. Cela le rapproche du Réveil. Il recommandait en effet à ses collègues pasteurs de faire preuve dans l’exercice de leur ministère d’un zèle et d’un esprit de consécration pour le moins équivalents à ceux dont faisaient preuve les agents du Réveil, mais sans épouser leurs étroitesses doctrinales et spirituelles.
À signaler enfin que Vincent a été un défenseur du régime synodal au sein des Églises réformées, ce qui l’a conduit à critiquer les entraves que les Articles organiques de 1802 imposaient au fonctionnement interne de ces Églises, mais sans chercher pour autant à rompre tout lien avec l’État.
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