Louis Appia (1818-1898), pionnier de l’humanitaire
Médecin philanthrope, genevois d’adoption, Louis Appia (1818-1898) est l’un des cinq membres fondateurs du Comité international fondateur de l’œuvre de la Croix-Rouge (CICR), le 13 février 1863, avec Henry Dunant, Gustave Moynier, Guillaume-Henri Dufour et Théodore Maunoir. Dans ce groupe, le docteur Louis Appia tient une place singulière, celle d’un précurseur, humanitaire de terrain et serviteur fidèle de l’institution.
Le précurseur
Né en 1818 à Hanau (Allemagne) dans une famille issue de la communauté vaudoise du Piémont italien, il étudie la médecine à Heidelberg, avant d’exercer à Francfort, puis à Genève. Médecin philanthrope, il diffuse auprès de la population défavorisée les principes d’hygiène, participe à la lutte contre l’alcoolisme et enseigne « le geste qui sauve ».
Adepte des premiers secours, il soigne les blessés lors des révolutions de 1848, à Paris et à Francfort. Sensibilisé à la chirurgie de guerre, il part à Solférino en 1859. Il visite les hôpitaux de Lombardie, consigne le résultat de ses observations médicales et conçoit un appareil pour le transport des blessés. Il écrira plus tard : « C’est à l’occasion de la guerre d’Italie que l’idée de l’œuvre de la Croix-Rouge a pris date, en prenant une consistance pratique ».
De fait, l’appel aux dons pour les blessés de la guerre d’Italie qu’il a lancé dans le Journal de Genève, avant son départ, pose un premier jalon vers la fondation de la Croix-Rouge. À son retour, il publie Le chirurgien à l’ambulance, véritable traité sur les plaies par armes à feu. Il conseille Henry Dunant sur les questions médicales, lorsque ce dernier rédige en 1862 Un souvenir de Solférino.
Dans une Europe secouée par les conflits émergent la vision et les principes fondateurs de la Croix-Rouge, inscrits dans l’ouvrage d’Henry Dunant. Grâce à la rencontre de cinq Genevois, Henry Dunant, Gustave Moynier, Guillaume-Henri Dufour, Théodore Maunoir et Louis Appia, unis dans la même indignation devant le sort réservé aux militaires blessés et une égale détermination à agir, ces principes vont s’enraciner dans l’action. Ce Comité des Cinq se constitue en Comité international fondateur de l’œuvre de la Croix-Rouge (CICR) le 13 février 1863, et convoque pour le mois d’octobre une première conférence internationale. Lors de cette Conférence constitutive, Louis Appia propose que les secoureurs portent un même brassard blanc.
Moins d’un an plus tard, le 22 août 1864, douze États signent la première Convention de Genève pour l’amélioration du sort des militaires blessés dans les armées en campagne.
L’humanitaire de terrain
Au lendemain de la création du CICR, Louis Appia est, avec Charles Van de Velde, le premier délégué envoyé par le Comité international sur un théâtre de guerre. Cette mission dans le Schleswig, pendant la guerre des Duchés (1864) entre la Confédération germanique et le Danemark, lui vaut d’être accueilli par le maréchal Wrangel, commandant de l’armée prussienne, par ces mots : « Le signe que vous portez [le brassard à croix rouge] est une recommandation suffisante, nous savons ce qu’il signifie, vous êtes ici pour le bien-être général ».
Cette expérience nourrit le rapport sur les premiers pas de l’institution que le docteur Louis Appia transmet au CICR à la veille de la Conférence diplomatique d’août 1864.
Mandaté cette fois par la Croix-Rouge de Milan, le chirurgien retourne sur la ligne de front en 1866, avec son frère Georges, pasteur à Torre Pellice, à la tête d’une ambulance qui se porte auprès des blessés de l’armée de Garibaldi à Bezzecca, dans la vallée du Tiarno. Trois ans plus tard, il repart sur le terrain pendant la guerre franco-prussienne de 1870.
Auteur de publications médicales souvent inspirées par l’expérience acquise sur les théâtres de guerre, il s’impose comme un théoricien de premier plan de l’humanitaire militaire.
Témoin des souffrances endurées par les populations durant les conflits armés, il prend position, très rapidement après la création du CICR et contre l’avis de ses pairs, pour une extension aux civils de la mission de l’institution.
Le dévouement à l’égard de l’institution
Après la démission d’Henry Dunant, Louis Appia reprend, en 1867, la charge de secrétaire du CICR, qu’il occupe jusqu’en 1870.
Membre du Comité international pendant trente-cinq ans, il participe à toutes les conférences de la Croix-Rouge et s’emploie à promouvoir l’action du CICR et la Convention de Genève auprès des décideurs politiques et militaires.
C’est dans ce but qu’il se rend au Caire, en 1872 et en 1873, pour convaincre le vice-roi Ismaïl Pacha d’adhérer à la Convention. Il envisage d’ouvrir un hôpital ophtalmologique et de conseiller les services sanitaires de l’armée égyptienne, mais est contraint de rallier Genève pour des raisons familiales.
Il entretient avec Clara Barton, militante de l’humanitaire qui fonde la Croix-Rouge américaine, une correspondance de plusieurs années, lui apportant, avec Gustave Moynier, alors président du CICR, conseils et soutien dans cette entreprise.
L’engagement chrétien
Fils et frère de pasteurs, fidèle de la chapelle de l’Oratoire de Genève, membre de la Société évangélique et de la Société biblique, Louis Appia place sa foi ardente au cœur de sa mission humanitaire. Dans le court récit qu’il intitule Le Pardon de la dernière heure, c’est le chrétien, plus que le médecin dans le rôle duquel il se met en scène, qui soigne un jeune pêcheur repenti et à l’agonie.
Confronté, dans les hôpitaux militaires comme auprès des populations déshéritées, à la souffrance et au désarroi des âmes, il revient sur les ressorts de la mission humanitaire dans de nombreux écrits, notamment La guerre et la charité, ouvrage qu’il publie avec Gustave Moynier en 1867.
Le principe de neutralité religieuse posé dès l’origine par la Croix-Rouge internationale n’entrave en rien son engagement quasi missionnaire. Dans l’opuscule Le Noël à l’ambulance (1880), il évoque ainsi la distribution de nouveaux testaments, en langue russe aux soldats blessés au Monténégro.
Il livre en 1893, trente ans après l’appel à l’action fraternelle lancé depuis Genève par le Comité des Cinq, le témoignage suivant : « L’influence religieuse ne peut être très directe au moment de l’action. L’importance est de se tenir soi-même en présence de Dieu, afin de conserver le calme nécessaire et une abnégation réelle, pratique et affectueuse […] Ne l’oubliez pas, dans ces jours les événements se pressent, les nécessités matérielles s’accumulent et les morts vont vite : une exhortation en passant, une parole d’encouragement, une courte prière, voilà tout. »
Dans cette proximité avec les plus vulnérables, réside certainement l’originalité du parcours de Louis Appia : il est le seul parmi les cofondateurs à avoir œuvré sans relâche sur le terrain, médecin chirurgien, urgentiste et logisticien avant l’heure, puis ambassadeur d’une cause humanitaire qui va très rapidement gagner les consciences européennes, avant de s’imposer au plan mondial.
Louis Appia (1818-1898), pionnier de l’humanitaire
Comité international de la Croix-Rouge (CICR), Avenue de la Paix, Genève, Suisse
Bibliographie
- Sites
- Documents
- Louis Appia (1818-1898), premier mondialiste de l’humanitaire | Lien
- CARBONNIER Gilles, Louis Appia : précurseur, cofondateur, pionnier de la Croix-Rouge
- ROCCA Francesco, Allocution, 13 octobre 2018
- Livres
- BOPPE Roger, L’Homme et la Guerre. Le docteur Louis Appia et les débuts de la Croix-Rouge, J. Muhlethaler, Genève/Paris, 1959
- DURAND Roger, Louis Appia : un rebelle cofondateur du CICR, 2014
- Articles
- « Bicentenaire de Louis Appia », Numéro spécial, Société Henry-Dunant , Genève, Numéro 27
Notices associées
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