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Les jubilés suisses et genevois

La Suisse et Genève ont attendu le XVIIIe siècle pour suivre l’exemple allemand. En tant que réformés, ils n’ont pas célébré Luther mais Zwingli et Calvin.

Débuts timides

Ulrich Zwingli (1484-1531)
Ulrich Zwingli (1484-1531) © Musée de la Réformation Genève

Quoique le jubilé de 1617 ait été, en partie, dû à l’initiative d’un prince réformé, il n’a pas suscité beaucoup d’écho hors de l’Empire.

A Genève, Théodore Tronchin (1587-1657), recteur de l’Académie, évoque le jubilé de la Réformation dans son discours pour les promotions de 1617 : après un historique du jubilé depuis les jeux séculaires de l’Antiquité et la dénonciation de la formule jubilaire adoptée par les papes de Rome afin de renflouer les caisses de la papauté, il fait l’éloge des deux réformateurs, Luther et Zwingli. Mais l’idée d’un jubilé genevois fait son chemin. En août 1635, on commémore, sans manifestation publique, le jour de 1535 où la messe fut abolie par le Conseil des Deux Cents. Frédéric Spanheim (1600-1649), recteur de l’Académie, professeur de théologie, publie à cette occasion Geneva restà nouveau tuta : où il justifie le jubilé comme l’anniversaire séculaire de la naissance de Genève – République, Église et Académie – avec la Réformation de 1535, la lumière après les ténèbres (le parallèle étant fait avec les « jeux séculaires » fêtant la naissance de Rome).

Les jubilés allemands de 1717, 1817 et 1883 ont poussé les villes suisses – Zurich et Berne en tête – et Genève à lancer leurs propres jubilés, chacune suivant son propre calendrier de la Réforme, indépendamment de l’affichage des thèses de Luther en 1517.

Ce sont d’abord les dates du passage des villes à la Réforme qui ont été célébrés.

Le 2e jubilé luthérien de 1717 semble bien avoir donné le branle aux jubilés de la Réformation en Suisse. Le premier est le jubilé de Zwingli à Zurich, le 1er janvier 1719, date de la première prédication de Zwingli à la cathédrale de Zurich. Les Bernois, forts de leur victoire sur les cantons catholiques en 1712, ont assuré bien plus de lustre à leur propre jubilé de la Réformation, en 1728.

Genève a attendu 1735 pour lancer son jubilé, à l’imitation de celui de Berne. Il est célébré le 21 août 1735 comme une fête nationale, programmée à l’avance, avec sermons appropriés, prière spécialement composée par Jean-Alphonse Turrettini, défilé des pasteurs, professeurs et magistrats de la ville, illuminations et banquet.

Célébrations de Zwingli

La Wartburgfest (festivités de la Warburg) de 1817 a trouvé un écho chez les étudiants zurichois et bernois : le 23 octobre 1818 ils se rassemblent pour le tricentenaire de l’arrivée de Zwingli comme prédicateur  à Zurich, dans une marche sur les lieux où il fut tué, et fondent une union étudiante en faveur d’un État fédéral libéral (Zofingue). Cependant le jubilé officiel de Zwingli est resté fixé au 1er janvier 1819. Il est suivi de ceux de Berne (1828), de Bâle (1829) et de Neuchâtel (1830).

Le jubilé genevois d’août 1835 a suivi le modèle du jubilé de 1735. Toutefois sa devise, « Religion – Patrie – Tolérance », exprime un certain souci de déconfessionnaliser le jubilé. En effet, le Conseil d’État se devait d’observer une neutralité confessionnelle, car le nouveau tracé territorial du canton incluait désormais des communes catholiques.

Déjà en 1818, la figure de Zwingli comme père fondateur de la Réforme suisse est mise en valeur. Mais c’est la concentration des jubilés luthériens du XIXe siècle sur la figure de Luther qui a amené à pousser en avant d’autres figures de « pères fondateurs » .

1884 – date de naissance de Zwingli- a donné l’occasion à Zürich d’un jubilé symétrique (mais plus modeste) de celui de Luther en 1883 en Allemagne, avec l’année suivante l’inauguration solennelle d’un monument Zwingli (15 août 1885).

Célébration de Calvin à Genève, non sans difficulté

Monument de Michel Servet à Genève
Monument de Michel Servet à Genève © Wikimedia commons
Monument international de la Réformation (Genève)
Monument international de la Réformation (Genève) © Wikimedia Commons

La figure de Calvin n’était pas aussi consensuelle à Genève que l’adoption de la Réforme par le vote de la Commune de Genève.

Impressionné depuis ses années d’étudiant en Allemagne par les manifestations mémorielles autour de Luther, Jean-Henri Merle d’Aubigné (1794-1872), historien de la Réformation, admirateur de Calvin, et pasteur de l’Eglise libre de Genève, lance dès 1861 le projet d’un monument genevois dédié à Calvin : un édifice « destiné à quelque institution utile », en particulier des conférences publiques à vocation d’évangélisation. La proximité du tricentenaire de la mort de Calvin devait stimuler les énergies. Mais seul le terrain peut être inauguré à temps, le 24 mai 1864, sans qu’il soit question le moins du monde d’un « jubilé Calvin » (tout au plus du « troisième anniversaire séculaire de la mort de Jean Calvin»), non plus que lors de l’inauguration de la « Salle de la Réformation », en 1867.

C’est aussi le modèle du jubilé Luther de 1883 qu’a eu en tête l’Église protestante de Genève à la perspective du 4e centenaire de la naissance de Calvin (1509/1909).  Au début du XXe siècle Calvin était moins que jamais une figure consensuelle à Genève : le bûcher de Michel Servet gênait la représentation du protestantisme et spécialement du calvinisme, comme l’avant-garde des idéaux de liberté et des droits de l’homme. C’est pour tenter d’échapper à une malédiction prévisible que Émile Doumergue, doyen de la Faculté de théologie protestante de Montauban, défenseur attitré de l’œuvre de Calvin, propose de faire précéder ce jubilé de Calvin, avec le monument de la Réformation, d’un « monument expiatoire » à Michel Servet, en 1903, à l’occasion du 350e anniversaire de son exécution.

Chose faite : place nette pour un projet de « monument de la Réformation », à la mémoire  non du seul Calvin, mais aussi des réformateurs et des héros de l’histoire des droits de l’homme et des peuples.

Purgé de sa mémoire noire par le monument expiatoire à Servet, Calvin a droit à un bouquet de trois jubilés à Genève au mois de juillet 1909 : celui de l’Église nationale protestante de Genève, tout juste devenue indépendante de l’État (du 2 au 4 puis du 6 au 7 juillet), celui du Collège (le 5 juillet) et celui de l’Université (du 7 au 10 juillet) qui célèbrent en même temps leur 350e anniversaire, outre la pose de la première pierre du monument de la Réformation  (5-7 juillet).

En 2009, le 500e anniversaire de la naissance de Calvin donne lieu à de nombreuses manifestations religieuses et populaires. Le tout nouveau Musée international de la Réforme à Genève est quelque peu le fer de lance de ces célébrations.

Auteur : D'après Marianne Carbonnier-Burkard

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