Les lieux d’enterrement
des protestants

Les cimetières protestants se sont organisés en suivant les différentes phases de l’histoire de la minorité protestante.

Tolérés

© Collection Barrau
Cimetière de Royan (17) © Collection Passerault

Le problème de l’inhumation des protestants s’est posé dès que la Réforme a été considérée comme une hérésie par l’Eglise catholique : les cimetières paroissiaux étant des « lieux saints » au statut canonique, ayant reçu une bénédiction initiale, l’inhumation d’un protestant devient impossible, quel que soit son rang social, même les notables devenus protestants ne pouvant plus rejoindre leurs ancêtres dans la chapelle familiale, ou dans le caveau de la nef de l’église. Les cimetières ordinaires leur étant interdits, les protestants durent s’organiser autrement et créer des cimetières spécifiques. A l’intérieur de ces premiers cimetières protestants on ne trouve pas de tombeaux, pas de signe distinctif d’une inhumation comme dans tous les cimetières du temps. La spécificité de ces cimetières, par rapport à un cimetière catholique est donc d’être situé sans lien avec un lieu de culte. L’Edit de Nantes généralise cette séparation dans la mort dans un but de paix civile : séparés mais égaux.

Interdits

Familienfriedhof

La révocation de l’Édit de Nantes en 1685 interdit le culte protestant : exclus des emplois publics, de leurs temples, les protestants sont exclus de leurs cimetières. Les instructions du conseil du Roi sont claires : « Sa Majesté ne veut pas qu’il y ait d’endroit marqué pour les enterrements de ceux de la dite religion et chacun pourra les faire enterrer où bon lui semblera ». Les ordonnances royales exigent de plus qu’ils soient enterrés de nuit et sans rassemblement. Pendant les longues années du « Désert », les protestants qui refusent de se convertir vont ensevelir leurs morts clandestinement, « dans les terres », dans un champ appartenant à la famille du décédé (ce qui ne fait que confirmer le dégoût des catholiques vis-à-vis de cette « religion déformée »).

Ainsi est née la tradition des cimetières de famille : quelques tombes dans un jardin, un pré, un espace non cultivé, enclos ou non par des murs : les cimetières de plein champ éloignés des maisons paraissent avoir été clos dès leur création, alors que ceux proches des habitations étaient plus souvent ouverts. Les régions à forte densité protestante sont littéralement truffées de tels cimetières, les cyprès marquant les tombes près des mas.

Une certaine tolérance s’installant à partir de 1760, les communautés réformées peuvent réaffirmer leur foi publiquement. Elles créent de nouveaux cimetières, dès 1761 à Royan, 1779 à Nîmes. Mais il faut attendre l’Édit de tolérance de 1787 pour que l’existence civile des protestants soit reconnue. Il prescrit que les villes et villages devront avoir « un terrain convenable et décent » pour l’inhumation de ceux auxquels la sépulture ecclésiastiques est refusée.

Autorisés

© Kirschleger

Les troubles de la Révolution une fois passés, Bonaparte rétablit définitivement la liberté religieuse et l’égalité des cultes dans le cadre du Concordat et des articles organiques de 1802. La nouvelle législation organise l’existence des cimetières protestants. Le décret du 23 prairial an XII (12 juin 1804) précise : « Dans les communes où l’on professe plusieurs cultes, chaque culte doit avoir un lieu d’inhumation particulier ; et dans le cas où il n’y aurait qu’un seul cimetière, on le partagera par des murs, haies ou fossés, en autant de parties qu’il y aura de cultes différents avec une entrée particulière pour chacune et en proportionnant ces espaces au nombre d’habitants de chaque culte ». Le cimetière protestant de Montpellier ouvre en 1809 dans ce cadre.

La diversité actuelle

Protestantischer Friedhof in Nîmes © J.P. Negre

Cette histoire mouvementée explique les trois catégories de cimetières protestants que l’on trouve aujourd’hui en France :

  1. Les grands cimetières protestants dans les régions à forte minorité protestante : Nîmes, Royan, Montpellier, Castres, Mazamet. Propriétés des Églises, ces cimetières sont restés privés et n’ont donc pas été déconfessionnalisés lors de la laïcisation de 1881. Quant aux cimetières communaux laïcisés, ils n’ont pas toujours appliqué le nouvelle législation : la séparation de la partie protestante persiste, les familles protestantes conservant l’habitude de se faire inhumer dans cet endroit.
  2. Les cimetières familiaux, dans les régions où les protestants n’étaient pas admis dans les cimetières catholiques : Charente Maritime, Deux Sèvres, Vendée, Cévennes.
  3. Les carrés protestants dans l’enceinte des cimetières communaux : malgré la laïcisation de 1881, beaucoup de cimetières communaux n’ont pas appliqué de manière stricte la nouvelle législation : la séparation de la partie protestante persistant, les familles protestantes ont conservé l’habitude de se faire inhumer dans ce quartier (Vaucluse, Gard, Hérault…).

L’Alsace-Moselle, annexée par l’Empire allemand en 1871 et rendue à la France en 1918, n’a pas connu cette législation laïcisatrice et a donc conservé l’organisation napoléonienne de cimetières partagés selon les confessions : on trouve donc des cimetières communaux avec une partie protestante.

Autor: Pierre-Yves Kirschleger

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