La montée des femmes pasteurs de 1960 à 2000

A partir des années 1960, les femmes sont définitivement reconnues comme pasteurs à l’égal des hommes dans les Églises luthériennes et réformées. Au tournant du siècle, elles sont de plus en plus nombreuses dans tous les postes pastoraux et des théologiennes acquièrent une renommée internationale.

Obstacles et préjugés

  • Le pasteur Florence Blondon
    Le pasteur Florence Blondon © Sophie Reille pour Réforme

Les premières ordinations, celles des années 30, avaient été des cas d’espèce. La question de principe ne se pose réellement qu’à partir des années 50, suivant en cela l’évolution de la société. Dans les synodes, elle est longtemps reportée comme n’étant pas mûre ; dans l’Église réformée de France, la discussion finit par s’engager en 1964 et trouve sa solution deux ans plus tard avec la reconnaissance « que les femmes peuvent être appelées, au même titre que les hommes, à exercer un ministère dans l’Église ».

On hésite à supprimer l’obligation du célibat – que feraient-elles pourvues d’enfants ? On craint qu’admettre les femmes ne détourne les hommes de répondre à la vocation pastorale ; on craint aussi que ce soit un obstacle au dialogue œcuménique, qu’elles ne seraient pas capables d’assumer.

Pasteurs à part entière

  • Strasbourg, siège de l'ECAAL-ERAL
    Strasbourg, siège de l'ECAAL-ERAL

La clause du célibat est levée en 1968 dans l’ERAL, en 1970 dans l’ECAAL. Dans les deux Églises d’Alsace-Moselle, un décret du 6 avril 1970 admet les femmes « aux fonctions pastorales dans les mêmes conditions que les candidats » mais stipule qu’elles « seront affectées de préférence à des paroisses pourvues de deux ou plusieurs postes de pasteurs ». Comme on entre dans la période de baisse de fréquentation des Églises, les paroisses requérant plusieurs pasteurs se raréfient et les femmes pasteurs se trouvent le plus souvent seules en paroisse.

Bien formées dans les facultés et par des stages, les femmes prennent de l’assurance. Les problèmes viennent plus souvent des Conseils presbytéraux : les préjugés sont tenaces, les rengaines sur l’autorité réapparaissent – mais les paroissiennes applaudissent souvent. Il faudra du temps pour que les femmes soient admises comme ministres sans tenir compte de leur sexe. Comme dans tous les métiers, leur accession est plus difficile que pour un homme, et elles sont jugées plus sévèrement.

La fin du siècle

Elles sont la troisième génération de femmes pasteurs, ou pasteures. En 2000, on dénombre :

  • Église de la Confession d’Augsbourg d’Alsace et de Lorraine (ECAAL) – 52 femmes sur 230 pasteurs en activité (22,61 %). 38 sont mariées, dont 11 à un pasteur.
  • Église réformée d’Alsace et de Lorraine (ERAL) – 15 femmes sur 51 pasteurs en activité (29,41 %). 11 sont mariées, dont 5 à un pasteur et 2 à un professeur de théologie.
  • Église évangélique luthérienne de France (EELF) : 18 femmes sur 58 pasteurs en activité (31,03 %). 2 sont célibataires, 16 sont mariées dont 7 à un pasteur.
  • Église réformée de France (ERF) : 106 femmes sur 489 pasteurs en activité, (21,67 %). 32 sont célibataires, 74 sont mariées dont 30 à un pasteur.
  • Facultés libres de théologie (IPT depuis 1972). Faculté de Paris, en 1960 : 84 étudiants, dont 8 femmes (9,52 %). En 2000 : 136 dont 54 femmes (39,70 %).
    Faculté de Montpellier, en 1960 : 64 étudiants, dont 5 femmes (8 %). En 2000 : 209 étudiants, dont 95 femmes (45,5 %).
  • Université Marc Bloch/Strasbourg. En 1960, 121 étudiants, dont 9 femmes (7,43 %) En 2000, 218 étudiants, dont 82 femmes (37,61 %).

Mesdames les pasteurs

Le plus souvent, elles sont mariées – la rencontre se faisant fréquemment à la faculté de théologie, d’où des couples de pasteurs pour lesquels les Églises peinent à trouver des postes ; elles sont mères de famille, ce qui complique leur quotidien. De là vient qu’elles participent un peu moins que leurs collègues masculins aux commissions. Elles sont admises à tous les postes : les facultés, les aumôneries (jusque dans les armées), les ministères spécialisés ; les responsabilités ecclésiales sont plus longues à venir, malgré l’exemple de Thérèse Klipfel qui, en tant que président d’Église (ERAL), reçut le pape à Strasbourg en 1988.

A noter l’exemple d’Élisabeth Parmentier, pasteur de l’ECAAL, théologienne, maître de conférence à la faculté de Strasbourg, présidente de la Communion de Leuenberg, mariée et mère de famille.

Ce qu'elles ont changé

Dans une chrétienté dominée depuis sa création par la masculinité, les femmes pasteurs apportent dans l’exercice de leurs ministères une sensibilité proprement féminine – qui s’accorde à une tendance actuelle de notre société. Les écrits de certaines théologiennes contribuent à modifier en ce sens les liturgies.

La présence de femmes dans le corps pastoral a hâté le phénomène de sécularisation, qui s’est accentué à la fin du siècle. Plus accessibles que les hommes pour les paroissiens, elles sont respectées pour elles-mêmes plus que pour la robe – qu’elles ne portent pas toujours – et pour la fonction.

Les autres Églises protestantes

Dans les Églises de tendance dite évangélique qui sont membres de la Fédération Protestante de France, la question du pastorat féminin est soit posée – chez les baptistes – soit reportée ou même fermement repoussée, dans les Églises de sensibilité pentecôtiste. La FEEB (Fédération des Églises Évangéliques Baptistes) est partagée : sa structure congrégationaliste permet aux Églises qui la composent (dites majeures) de reconnaître un ministère féminin ; elles en discutent, synode après synode, mais elles ne se décident pas encore, peut-être par habitude de voir l’autorité représentée par un homme. Les étudiantes, pourtant, sont nombreuses dans les facultés évangéliques.

Les Églises Réformées Évangéliques Indépendantes ont débattu de la question dans le cadre général de la consécration des pasteurs : en mars 2004, Corinne Fines était la première pasteur des EREI. Les Églises pentecôtistes (Église de Dieu, Mission Évangélique Tzigane, Église apostolique…) se réfèrent aux Écritures pour ne pas la poser.

Une exception : dans une église baptiste parisienne, il y eut de 1930 à 1952 une femme pasteur de fait dans l’église du Tabernacle (Paris 18e), Mme Madeleine Blocher-Saillens, qui poursuivit l’œuvre de son mari (Église membre de l’Alliance des Églises Évangéliques Baptistes Libres de France, qui ne font pas partie de la Fédération protestante de France).

Si, en Europe, l’accession des femmes aux ministères pastoraux est venue de Scandinavie, d’Allemagne, de Suisse avant la France, dans les Églises luthériennes et réformées, ce mouvement va certainement gagner les minorités protestantes se réclamant de la Réforme, dans l’Europe agrandie. L’avenir dira si les baptistes et les pentecôtistes se décident à suivre sur ce point l’évolution de la société.

Bibliographie

  • Livres
    • LAUTMAN Françoise, Ni Eve, ni Marie, Labor et Fidès, Genève, 1997

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