Martin Luther
dans la vie publique
L’enseignement de Luther, ses écrits, ses prédications ont immédiatement un grand rayonnement. Après l’affichage des 95 thèses, puis la condamnation du théologien par le pape, beaucoup de ses compatriotes – chevaliers, paysans, bourgeois – choisissent de le suivre. Ces premiers luthériens voient en lui une figure prophétique et le pressent de prendre position dans divers conflits.
Une époque troublée
A la fin du Moyen Âge, diverses évolutions, parmi lesquelles la multiplication des transactions commerciales et leur élargissement géographique, contribuent à d’importantes transformations de la vie sociale et des rapports sociaux.
La bourgeoisie commerçante devient plus influente, tandis que certaines familles princières voient leur autorité remise en question. Les paysans ressentent plus durement leurs conditions de vie (bien souvent le servage). Des troubles éclatent ici et là, souvent très violents : la révolte des chevaliers, la guerre des paysans, la révolte des anabaptistes à Münster.
Souvent ceux qui se révoltent contre les injustices demandent à Luther de prendre publiquement leur parti. Le réformateur montre, dans son enseignement et dans ses prédications, qu’il est attentif à ces difficultés. Mais ses prises de position ne sont pas toujours celles qui sont attendues par des protagonistes qui aimeraient le voir soutenir plus ouvertement ceux qui sont opprimés.
La lutte contre le pouvoir temporel de l'Église : l'Adresse à la Noblesse chrétienne de la nation allemande
En 1520, Luther rédige un appel aux princes pour les exhorter à ne plus se soumettre aux dignitaires de l’Église. Il leur demande de prendre leurs responsabilités et de les assumer. Ainsi doivent-ils exercer la justice, assurer l’entretien des écoles et l’enseignement ; ainsi doivent-ils encourager le développement du commerce. Il leur demande de ne faire lever aucun impôt ecclésiastique dont les fins seraient douteuses. Cette recommandation s’est appliquée très concrètement à l’impôt que le pape voulait lever pour soutenir les armées de François Ier venues combattre celles de Charles Quint.
La guerre des paysans
En 1524, les paysans qui souhaitent s’affranchir du servage et de divers impôts, déclenchent une révolte sévère. L’un de leurs chefs est un ancien moine devenu pasteur, puis pasteur anabaptiste, Thomas Müntzer. L’appel de celui-ci s’appuie explicitement sur les espérances ouvertes par les enseignements et les combats de Luther. Celui-ci, pressé de prendre parti pour les paysans contre les nobles, évite, dans les faits, tout ralliement à cette cause.
Certes, il n’est pas resté indifférent. Il a manifestement essayé (dans divers écrits ou discours) de modérer les deux partis – tant paysan que noble. Mais les paysans se sont sentis trahis, d’autant plus que la répression qui a suivi leur défaite a été sanglante. L’attitude de Luther dans ce conflit a paru décevante et lui a été souvent reprochée par les historiens.
Le rejet des communautés juives
Dans les années 1530, le Prince électeur de Saxe, Jean le Magnanime, a voulu chasser les communautés juives de sa juridiction, sous des prétextes parfaitement arbitraires. On aurait pu croire que Luther se serait indigné d’une telle décision et aurait cherché à l’empêcher. Non seulement, il n’en a rien été, mais Luther a encouragé le Prince dans sa décision inique.
Les rapports de Luther avec la communauté juive n’étaient sûrement pas simples. Manifestement, toute éducation catholique, à cette époque, était imprégnée d’antisémitisme (fondé sur l’idée du Peuple déicide). Pourtant, au temps de la traduction du Pentateuque à partir du texte original, Luther semblait s’être affranchi de ces préjugés, comme en témoigne un écrit de 1523, Que Jésus-Christ est né juif. Un dialogue savant et amical s’était d’ailleurs amorcé entre la communauté juive et lui. Cependant une ambiguïté n’avait pas été levée : le réformateur espérait que son travail provoquerait tôt ou tard une conversion des juifs au christianisme. L’indépendance réaffirmée de la communauté juive fut pour lui source d’incompréhension, de rancœur et d’aveuglement.
La Doctrine des deux Règnes
Dans la position théologique de Luther, selon laquelle le salut procède de la grâce de Dieu et non des œuvres, le chapitre 13 de l’Épître de Paul aux Romains occupe une place importante. Il distingue en effet ce qui relève du jugement et du gouvernement des hommes, de ce qui relève du jugement et du règne de Dieu. Cette distinction a souvent été comprise en termes très restrictifs : elle favoriserait une intériorité du chrétien, considérée comme essentielle, et encouragerait une certaine passivité face à l’ordre social supposé être voulu par Dieu. Beaucoup pensent que telle était la position de Luther, puisqu’en plusieurs circonstances, il s’est effectivement rallié à la cause des Princes, au détriment de la justice.
Certaines des positions exprimées par Luther sont certainement susceptibles de créer des malentendus : Je suis et je veux toujours être du côté des victimes de l’émeute, quelqu’injuste que soit leur cause. Je m’oppose et veux toujours m’opposer à ceux qui usent de violence, quelque juste que soit leur cause, car l’émeute ne peut se solder que par l’effusion du sang innocent. (cité par Albert Greiner, Luther, essai biographique. Paris, 1956, p119)
Mais il serait difficile de s’en tenir là :
- La doctrine des deux Règnes, telle que Luther l’a développée dans son Commentaire de l’Épître aux Romains n’encourage aucune soumission aveugle aux princes et surtout elle encourage la réflexion critique : nul pouvoir séculier ne peut se dire de droit divin, agir au nom de Dieu.
- Dans son Adresse à la Noblesse chrétienne de la nation allemande, Luther encourage la réflexion critique sur les modes de gouvernement de la cité.
Au XXe siècle, les pasteurs luthériens qui ont participé au synode de Barmen (1934) et qui se sont engagés dans l’Église confessante, Martin Niemöller, Dietrich Bonhoeffer et beaucoup d’autres, l’avaient bien compris : il fallait lutter contre le nazisme et ils ne sont pas dérobés.
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