Sarah Monod (1836-1912)

Sarah Monod, fille du pasteur du Réveil Adolphe Monod, est une philanthrope et une féministe, première présidente du Conseil national des femmes françaises.

La fille du pasteur Adolphe Monod

  • Généalogie de la famille Monod
  • Sarah jeune © archives familiales privées

Alexandrine Élisabeth Sarah Monod naît le 24 juin 1836 à Lyon, où son père est fondateur et pasteur de l’Église évangélique libre (protestante non concordataire).

Adolphe Monod (1802-1856), homme du Réveil considéré comme l’un des plus grands orateurs religieux de son temps, est ensuite appelé comme professeur à la faculté de théologie de Montauban puis comme pasteur à la paroisse de l’Oratoire du Louvre à Paris en 1847.

Adolphe Monod épouse en 1829 Hannah Honyman (1799-1868), d’une famille écossaise installée à Lyon depuis 1815. Hannah fait partie du comité de l’Œuvre protestante des prisons de femmes, créée à Paris en 1839 : les « dames du comité » organisent un culte chaque dimanche matin et viennent faire la lecture aux prisonnières l’après-midi.

Sarah s’installe à Paris avec ses parents et reste parisienne ; elle s’engage très jeune dans des œuvres philanthropiques. À la mort de son père en 1856, c’est elle qui s’occupe de recueillir et de mettre en forme ses dernières pensées et méditations, Les Adieux d’Adolphe Monod à ses amis et à l’Église, mais aussi plusieurs volumes de sermons, un recueil de correspondances, une biographie de son père, et deux de ses discours sur la femme. Elle traduit également de l’anglais plusieurs livres de piété.

Sarah appartient à une famille de sept frères et sœurs, dont six arrivent à l’âge adulte. Son frère William Monod (1834-1916), devient pasteur, aumônier des diaconesses. Deux de ses sœurs épousent des pasteurs : Marguerite Monod se marie à Auguste Bouvier, professeur de théologie à Genève ; Camille Monod à Charles Vernes, pasteur à la paroisse des Batignolles à Paris. Sarah pour sa part reste célibataire.

La directrice laïque des diaconesses

  • Sarah jeune © archives familiales privées

Quand sa mère meurt en 1868, Sarah accepte de répondre à la demande du Conseil de direction de la communauté des diaconesses de Reuilly, pour venir aider la nouvelle sœur-directrice, Adriana Waller, qui est étrangère. Sarah emménage chez les diaconesses et en devient la directrice laïque, jusqu’en 1901.

Depuis 1841, les diaconesses reçoivent les femmes libérées de la prison de Saint-Lazare dans leur maison du « refuge », puis les jeunes filles qui leur sont confiées par le service de l’éducation correctionnelle ; elles créent par ailleurs dans le quartier de la rue de Reuilly des écoles primaires, une école d’apprentissage, une infirmerie pour les enfants, une maison de santé pour femmes, qui sert en même temps à former les diaconesses comme garde-malades. Cette fonction hospitalière ne cesse de se développer.

Sarah Monod se consacre au développement de la maison des diaconesses, que ce soit par l’impulsion donnée aux œuvres sociales, ou pour le recrutement. Dans la brochure Aux Jeunes Filles. Diaconesses. Objections, vocation, association, elle explique que la philanthropie ne s’improvise pas, mais qu’elle nécessite une éducation professionnelle.

L’ambulance Monod pendant la guerre de 1870

Pendant la guerre franco-prussienne, Sarah Monod est l’intendante de l’ambulance mobile créée par le Comité évangélique de Paris, avec l’aide de la Société française de secours aux blessés militaires, la Croix-Rouge. L’équipe de l’ambulance comprend un chirurgien, quatre infirmiers et deux diaconesses. Composée de trois de ses cousins, elle est appelée « l’ambulance Monod ».

Cette petite équipe avec ses huit voitures, suit le front, ramasse et soigne les blessés, d’abord dans l’Est puis, en 1871, avec l’armée de la Loire. Entre les deux, Sarah Monod part recueillir des fonds et du matériel en Grande-Bretagne, grâce à son prestige personnel. Lors de la Commune de Paris, les diaconesses soignent indistinctement les blessés des deux camps. Pour son engagement auprès de plus de 1500 blessés, Sarah Monod reçoit, le 2 juillet 1871, la croix de bronze de l’Œuvre internationale de secours volontaire sur les champs de bataille.

Vers un engagement féministe

  • Sarah Monod souriant © archives familiales privées

En janvier 1877, Sarah Monod fait une rencontre décisive, celle de Joséphine Butler, la porte-parole de la lutte pour l’abolition de la prostitution réglementée. Ainsi est créée à Genève l’Union internationale des Amies de la Jeune fille, dont Sarah organise et dirige la branche française. Le but de l’association est de protéger les jeunes filles qui sont amenées à quitter leur famille pour gagner leur vie : « les protéger du dehors, mais surtout les armer au-dedans, les envelopper d’une sorte de cotte de maille spirituelle ». Sans distinction de religion (même si l’œuvre garde son caractère protestant), les jeunes filles reçoivent un livret de conseils pratiques, des adresses de bureaux de placement et de foyers, ainsi qu’un recueil de versets bibliques.

En 1879, quand est fondée la revue La Femme, Sarah Monod préside le comité de rédaction. Ce journal évolue vers des prises de position féministes à mesure qu’il s’intéresse aux questions sociales (travail, apprentissage, salaires, hygiène, instruction des femmes…).

À l’occasion de l’Exposition universelle de 1889, se tient le premier Congrès des Œuvres et institutions féminines, à l’initiative d’Isabelle Bogelot (présidente de l’Œuvre laïque des libérées de Saint-Lazare), d’Émilie de Morsier, de Sarah Monod et de Julie Siegfried : le but est de mettre en lumière les œuvres féminines. Les membres du congrès se retrouvent ensuite lors d’une Conférence annuelle des œuvres féminines à Versailles.

Un féminisme en action

  • Sarah pensive © archives familiales privées

Avec l’appui du Conseil international des femmes (Women’s International Council) créé à New-York en 1888, est fondé en France en 1901 le Conseil national des femmes françaises (CNFF). La présidence en est confiée à Sarah Monod, qui abandonne alors la direction des diaconesses.

Le CNFF est conçu comme une fédération de sociétés et d’œuvres qui poursuivent l’amélioration du sort des femmes (et des enfants) au point de vue éducatif, économique, social et moral. Il réunit 40 associations en 1901 et en compte 148 vingt ans plus tard.

Il regroupe ainsi des philanthropes et des féministes militantes : l’objectif est de développer une stratégie de regroupement des forces féministes, qui font de l’action sociale un levier d’intervention politique.

Les militantes catholiques pressenties se désistant, le CNFF se retrouve fortement dominé par les militantes protestantes (Sarah Monod, Isabelle Bogelot, Julie Siegfried, Marie Bonnevial, Maria Pognon, Louise Wiggishoff, Marie d’Abbadie d’Arrast, ou encore Ghénia Avril de Sainte-Croix, d’origine protestante) et les militantes juives (Eugénie Weill et Gabrielle Alphen-Salvador).

Le CNFF agit sous forme de rapports très travaillés et de lobbying auprès des ministres, des administrations, de congrès internationaux. Grâce aux rapports très étroits qu’il entretient avec le Conseil supérieur de l’Assistance publique et, en particulier, avec son directeur Henri Monod, cousin germain de Sarah Monod, le CNFF obtient en 1906 l’admission de la première femme en son sein, Isabelle Bogelot.

Parmi les réformes qu’il conseille ou inspire, le CNFF soutient des projets de lois pour améliorer l’organisation de la puissance paternelle, ou pour l’institution de tribunaux pour enfants ; il obtient la loi du 13 juillet 1907 sur le libre salaire de la femme mariée, mais aussi des collaborations au sujet de divers règlements relatifs au travail des femmes.

 

Sarah Monod est proposée comme présidente du Conseil international des femmes, elle refuse pour ne pas abandonner la présidence du CNFF. Elle est décorée de la Légion d’honneur en 1911. Au décès de Sarah Monod, une autre protestante lui succède à la tête du CNFF, Julie Siegfried (1848-1922).

« Mademoiselle Monod est l’unique grande puissance féminine du moment. Elle seule possède le moyen d’assembler et de gouverner à certaines heures, comme la Conférence de Versailles, le Féminisme tout entier », écrit à son propos Jane Misme dans Le Figaro du 7 juillet 1899.

Comme le souligne l’historienne Michelle Perrot, « les femmes protestantes n’ont pas été réduites au silence. On pourrait même dire qu’elles sont nées dans et par le Verbe évangélique. La Réforme s’est révélée être une brèche propice à leur éducation, à une alphabétisation rendue nécessaire par la lecture individuelle de la Bible, comme à leur prise de parole, favorisée par les Réveils ».

Une place de Paris (12e arrondissement) a été baptisée du nom de Sarah Monod en 2021.

Voir la vidéo : Sarah Monod, une pionnière du féminisme français

Entretien avec Gabrielle Cadier, Éditions Ampelos/Regards protestants

Bibliographie

  • Livres
    • BARD Christine, Dictionnaire des féministes, France, XVIIIe – XXIe siècle, articles "Sarah Monod", "Conseil national des femmes françaises", PUF, Paris, 2017
    • CADIER-REY Gabrielle, Sarah Monod. Philanthropie et féminisme au XIXe siècle, Ampelos, Maison-Laffitte, 2022
  • Articles
    • CADIER-REY Gabrielle, « Autour d’un centenaire, Sarah Monod », Bulletin de la Société de l'histoire du protestantisme français, octobre-décembre 2012, p. 771-792
    • CADIER-REY Gabrielle, « Trois pionnières du féminisme : Sarah Monod, Julie Siegfried, Marguerite Schlumberger », Bulletin de la Société de l'histoire du protestantisme français, avril-juin 2013, p. 385-395

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