L’œcuménisme, pourquoi et comment ?
Dès la constitution des premières communautés chrétiennes, deux soucis apparaissent : celui de pouvoir vivre ensemble dans cette maison (oikos) commune qu’est la terre et celui de la recherche de l’unité des chrétiens. Des débats ne peuvent éviter de profondes divisions, lesquelles se poursuivent au cours des siècles.
À partir du XXe siècle, l’œcuménisme évolue et son objet s’élargit : des actions se développent en vue de rencontres, de dialogues et d’actions communes mais l’intercommunion, qui concerne les chrétiens à titre individuel, ne peut être réalisée.
Objet de l’œcuménisme
Alors que l’adjectif œcuménique, d’origine grecque, est fort ancien, le nom œcuménisme remonte au XIXe siècle. L’œcuménisme implique des débats. Son objet est double : le souci d’une vie en commun de l’humanité sur toute la terre habitée et la recherche de l’unité des chrétiens, laquelle n’exclut pas la diversité.
On distingue l’œcuménisme, dialogue entre chrétiens, de l’interreligieux, dialogue entre les religions.
Histoire de l’œcuménisme
Pouvoir vivre tous ensemble sur la terre
La préoccupation de l’humanité entière se trouve dans le Nouveau Testament, notamment dans Matthieu 25, 31-46 : … Toutes les nations seront assemblées devant lui …
Les débuts du christianisme sont marqués par le souci œcuménique qui concerne la terre que nous habitons ensemble. Tout en reconnaissant la diversité et l’importance des contextes et des expériences, ce souci se manifeste par l’affirmation que l’humanité est une. Et il porte l’espérance d’une terre habitable, amicale à chacun, selon la dimension d’universalité qui est au fondement de l’enseignement du christianisme et de son attente eschatologique.
Les premières communautés chrétiennes, assez diverses, appuyées par les Pères de l’Église, prennent en charge ce souci. Elles travaillent, se retrouvant dans les conciles œcuméniques qui ont fixé des points de doctrine, une organisation ecclésiale, sans redouter les débats, débats qui aboutissent à des points d’accords durables. Le ralliement de l’empereur Constantin au christianisme en est l’étape décisive. Par la suite les débats ne cessent d’être enrichis au sein de l’Église.
Les débats pour la recherche d’une unité dogmatique
Les questions soulevées par les dogmes ne cessent de donner lieu à des débats. Elles ont pour fondement le Nouveau Testament, notamment les versets suivants :
- Jean 17, 21 … afin que tous soient un …,
- Éphésiens 4, 3-6 … un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême …,
- et aussi Jean 14, 2 … il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père.
Les premiers conciles œcuméniques ont pour but de préciser la doctrine pour en préserver l’unité. C’est ainsi que l’empereur Constantin (288-337) convoque le concile de Nicée (325), qui condamne l’arianisme, lequel nie la divinité du Christ. Les conciles œcuméniques suivants continuent à préciser la doctrine de l’Église, notamment ceux d’Éphèse (431) et de Chalcédoine (451). Mais ces conciles condamnent les idées contraires au dogme qu’ils fixent. Il s’ensuit les schismes nestorien et monophysite sur la nature humaine ou divine du Christ.
L’antisémitisme chrétien résulte de l’accusation portée contre les juifs d’avoir tué Dieu en Jésus-Christ. Cette accusation est antérieure aux premiers conciles œcuméniques.
La question du « filioque » (le Saint-Esprit procède du Père et du Fils), adopté par l’Église catholique latine dans le Credo, est à l’origine du schisme d’Orient (1054) qui marque la séparation des Églises orthodoxes de l’Église latine.
Ainsi, les débats successifs pour la fixation de dogmes n’aboutissent pas à des consensus et il en résulte des schismes, des excommunications et des anathèmes.
Plus tard, la Réforme au XVIe siècle donne lieu à la création d’Églises protestantes. L’intervention des pouvoirs politiques conduit alors à des persécutions et à des guerres de religion dans la plupart des pays européens.
L’œcuménisme depuis le début du XXe siècle
Au XXe siècle, l’objet de l’œcuménisme évolue. L’évolution a pour principale origine les milieux protestants alors assez dispersés, qui cherchent à rendre plus cohérentes et plus efficaces leurs activités missionnaires. C’est au départ un œcuménisme intra-confessionnel.
Peu à peu cependant, l’œcuménisme s’élargit dans ses objectifs et prend une dimension multiconfessionnelle. Les anglicans et les orthodoxes s’y intéressent et prennent une part active aux travaux de la Fédération universelle des associations d’étudiants créée en 1897. Ils participent à certains des travaux préalables à la constitution en 1948 du Conseil œcuménique des Églises.
L’Église catholique romaine refuse longtemps de s’associer à ces recherches. Elle se considère en effet comme le seul lieu possible de l’unité visible de l’Église selon l’autorité de son magistère. Après quelques épisodes difficiles, voire plutôt hostiles, en particulier avec l’encyclique Mortalium animos (1927), des discussions approfondies s’engagent.
Deux dimensions de l’œcuménisme se dessinent. L’une se rapporte à un engagement qui, nourri par la référence à l’Évangile, s’inquiète des désordres, des injustices que n’ont pas évités certaines formes de développement. L’autre est plus spirituelle. Ces dimensions se croisent souvent et s’enrichissent de leurs débats.
L’œcuménisme actuel a pour objet de poursuivre le dialogue qui a été renoué entre les Églises chrétiennes, ce qui permet des interventions communes sur des sujets de société.
Il faut signaler aussi la signature en 1998 de la charte œcuménique européenne entre la Conférence des Églises européennes (orthodoxes, protestantes et anglicanes) et le Conseil des Conférences épiscopales européennes (catholiques). Cette charte comporte une clause de non-concurrence.
La recherche d’une unité doctrinale ne conduit pas nécessairement à des anathèmes ou des guerres.
Les différences doctrinales peuvent aussi faire l’objet d’un désaccord sans conséquence ou d’un consensus différentié. Elles peuvent même être relativisées, à l’exemple de la création, en 1817, de l’Église évangélique de l’Union prussienne par le roi de Prusse Frédéric Guillaume III, qui rassemble luthériens et réformés.
C’est ainsi que la Concorde de Leuenberg (1973) a permis aux Églises luthériennes et réformées de se déclarer en pleine communion ; il en est résulté l’union des Églises luthériennes et réformées dans plusieurs pays européens, dont la France.
Mais les divergences entre Églises chrétiennes sont encore trop grandes pour que, dans un avenir proche, l’unité dans la diversité puisse être atteinte sur un tel modèle.
La vie œcuménique dans les paroisses et les aumôneries
L’œcuménisme par des rencontres et des actions communes
À partir de la deuxième moitié du XXe siècle et surtout après le concile Vatican II (1962-1965), les avancées de l’œcuménisme sont très importantes : après des siècles de conflit, les Églises prennent conscience de la nécessité de renouer des liens entre elles. Il s’ensuit des reprises de dialogue et des rencontres à différents niveaux. Ces rapprochements permettent de défendre en commun les positions des Églises vis-à-vis des États dans des domaines tels que l’environnement, le climat, l’immigration.
C’est ainsi que le Conseil des Conférences épiscopales européennes (catholique) et la Conférence des Églises chrétiennes (KEK), réunissant les Églises protestantes anglicanes et orthodoxes européennes, peuvent intervenir en concertation auprès de la Commission européenne et du Parlement européen.
En France, le Conseil d’Églises chrétiennes en France (CECEF), créé en 1987, rassemble les représentants des Églises pour intervenir auprès des autorités de l’État. Il est présidé à tour de rôle par le président de la Conférence des évêques catholiques, par le métropolite président de la Conférence des évêques orthodoxes et par le président de la Fédération protestante de France.
Au niveau régional, des groupes de travail entre représentants des Églises se réunissent régulièrement, notamment pour organiser les cérémonies de la Semaine de l’unité et de Pâques. Ces représentants se réunissent aussi occasionnellement au niveau national.
Au niveau local, des activités œcuméniques bilatérales entre paroisses catholiques et protestantes se développent : elles consistent en des études bibliques communes, des échanges de chaire, des actions d’entraide. Leur mise en œuvre et leur maintien dépendent du curé et du pasteur concernés.
Il existe aussi des associations œcuméniques regroupant plusieurs paroisses catholiques, protestantes, orthodoxes. Elles organisent des célébrations lors de la Semaine de l’unité, des rencontres lors de la fête de Pâques, des réunions de prière, des conférences, des activités d’entraide et aussi des expositions bibliques, souvent en collaboration avec les juifs.
L’œcuménisme fait l’objet d’un enseignement. Citons l’existence en France de l’Institut supérieur d’études œcuméniques (ISEO) qui dispense un enseignement diplômant, jusqu’au doctorat, à l’Institut catholique à Paris.
Il existe aussi un œcuménisme intra-protestant : dialogue entre les paroisses d’Églises protestantes historiques (luthériennes et réformées) et celles d’Églises évangéliques, réunions occasionnelles de leurs pasteurs.
Des paroisses protestantes ethniques, d’origine asiatique ou africaine, se sont créées en Europe de l’Ouest, implantées surtout dans les banlieues des grandes villes. En France, la Fédération protestante de France a lancé le Projet Mosaïc en 2006 pour favoriser la rencontre et la collaboration des chrétiens protestants de diverses cultures et origines. Le Projet Mosaïc a fusionné en 2014 avec le Service œcuménique de la Fédération pour constituer le Service des relations entre les Églises chrétiennes.
Certaines communautés protestantes ethniques célèbrent leur culte dans des Églises protestantes traditionnelles et il arrive aussi que des personnes soient membres à la fois d’une Église ethnique et d’une Église traditionnelle.
L’œcuménisme pour les chrétiens à titre individuel
Les fidèles adhèrent à la théologie de leur Église mais ils se considèrent en général moins concernés qu’elle par les différences théologiques.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les protestants sont beaucoup mieux considérés par les catholiques qu’auparavant.
Depuis le concile Vatican II, quel que soit son attachement au dogme de son Église, le paroissien chrétien est en général favorable à l’œcuménisme. Il peut profiter des réunions œcuméniques qui sont organisées par sa paroisse. Mais il peut avoir l’impression qu’il y a peu de progrès, du moins en ce qui le concerne personnellement : la communion.
Or l’intercommunion entre protestants et catholiques est rarement possible car elle implique une dispense spéciale de l’évêque du diocèse concerné. C’est pourquoi le paroissien protestant a l’impression que l’œcuménisme progresse peu.
Les couples interconfessionnels sont les plus concernés.
Les mariages mixtes entre protestants et catholiques, autrefois redoutés, voire interdits, sont couramment célébrés.
Remarquons qu’en France, où les protestants sont très minoritaires, il y a un faible nombre de mariages protestants-catholiques ; ces mariages sont donc beaucoup plus fréquents dans la population protestante que dans la population catholique. Ce phénomène est amplifié par le fait que les protestants, qui se mariaient majoritairement entre eux jusqu’au milieu du XXe siècle, le font beaucoup moins depuis lors.
Au contraire, en Allemagne où les populations protestante et catholique sont sensiblement du même ordre de grandeur, il y a naturellement beaucoup plus de mariages interconfessionnels et ceux-ci concernent les deux populations de façon sensiblement égale.
Pour un protestant qui se prépare à un mariage interconfessionnel protestant-catholique, ce qui le concerne le plus sont les modalités de son mariage, du baptême de ses enfants et de l’eucharistie. Depuis le concile Vatican II, la dispense catholique n’exige plus l’engagement d’élever les enfants dans la religion catholique. Le baptême protestant est reconnu par l’Église catholique mais il reste la question de l’eucharistie : malgré une proposition venue d’Allemagne, le Vatican n’autorise pas encore en 2018 les époux à communier ensemble ni d’un côté ni de l’autre.
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