Sculpteur en Lorraine, il se réfugie à Genève en 1564
Ligier Richier, Le Sépulcre ou la Mise au Tombeau, église Saint-Etienne, Saint-Mihiel, (XVIe siècle) © Florence Pariset
Les débuts de Ligier Richier, né à Saint-Mihiel (Meuse), dans le duché de Lorraine, alors indépendant de la Couronne de France, où il s’est marié, sont peu connus. Dès 1530, il occupe la charge d’« imagier » du duc Antoine de Lorraine. En 1533, alors qu’il réside à Saint-Nicolas-de-Port, il exécute les portraits de la famille ducale, avant de travailler au château de Koeur à la demande de la duchesse de Lorraine, Renée de Bourbon. A partir de 1535, il réside à Saint-Mihiel où il reçoit la charge de syndic de la cité.
Vers 1550, il travaille au chantier de la chapelle des Princes, l’une de ses plus belles réalisations, aujourd’hui disparue, à la collégiale Saint-Maxe de Bar-le-Duc et réalise le retable en pierre de l’Annonciation dont il subsiste une tête du Christ.
En 1559, il réalise avec son fils Gérard les décorations éphémères de la ville de Saint-Mihiel pour l’entrée solennelle du duc Charles III suite à son mariage avec Claude de France. On ignore les conditions de sa conversion au protestantisme . En 1560, il signe, avec d’autres Samiellois, une pétition adressée au duc afin d’obtenir le libre exercice de la religion réformée. Les ordonnances publiées contre l’hérésie par l’évêque de Verdun, après le Concile de Trente, et le durcissement de la politique ducale envers la Réforme, le conduisent à quitter le duché avec sa famille. Au début de 1564, il réside encore en Lorraine mais en octobre il se trouve à Genève où il a rejoint sa fille Bernardine, épouse de Pierre Godart, qui a quitté la Lorraine « pour cause de religion ». Il y demeure jusqu’en 1567 et y meurt, en laissant une fortune conséquente. Son fils Gérard, de retour à Saint-Mihiel en 1573, lui succède à la tête d’un atelier de sculpture dont le renom perdure jusqu’au début du XVIIe siècle.
Œuvres religieuses
La Pâmoison de la Vierge, église abbatiale Saint-Michel, Saint-Mihiel © Florence Pariset
La première œuvre connue de l’artiste, empreinte à la fois de l’influence gothique dans le traitement des scènes, et de celle de la Renaissance dans l’ordonnancement architectural et ornemental est le Retable d’Hattonchâtel , daté de 1523, dans l’église Saint-Maur d’Hattonchâtel , où sont représentés le Portement de croix, la Crucifixion et la Déploration du Christ. La date de cette œuvre permet de situer la naissance de Ligier Richier au début du XVIe siècle. Chaque scène est délimitée par un décor architectural inspiré de la Renaissance italienne : pilastres couronnés de chapiteaux à volutes, motifs d’entrelacs et de candélabres.
La Pâmoison de la Vierge, exécutée avant 1535 en bois de noyer jadis polychrome, de taille grandeur nature, fait partie à l’origine d’un groupe de neuf figures comprenant un crucifix, une vierge de pitié, Marie-Madeleine et quatre anges. Le traitement des drapés et l’expressivité des visages, emprunts de naturel et de gravité, soulignent le caractère tragique de la scène. Saint Jean, vêtu d’une longue tunique, soutient la Vierge défaillante en train de s’écrouler sous le poids du chagrin. Ce thème de l’évanouissement de la Vierge, souvent représenté à partir du XVe siècle, provient de l’évangile apocryphe des Actes de Pilate, attribué à Nicodème.
Dans le cœur de l’église de Saint-Étienne à Bar-le-Duc (vers 1532), le groupe du Christ en croix avec les deux Larrons , montre le traitement tourmenté des larrons qui contraste avec la calme anatomie du Christ. Ces trois statues devaient sans doute faire partie d’un ensemble plus vaste. La même opposition se retrouve au Calvaire de l’église Saint-Gengoult à Briey , élargi aux personnages de la Vierge, Jean et Madeleine (avant 1534). La Vierge et Saint Jean sont d’inspiration gothique. Le Sépulcre ou La Mise au tombeau conservée à l’église Saint-Étienne de Saint-Mihiel, aurait été exécuté entre 1554, date de l’achèvement de la chapelle des princes dans la collégiale Saint-Maxe de Bar-le-Duc, et 1564, année du départ du sculpteur pour Genève. C’est l’une des compositions les plus célèbres de Ligier Richier. Elle regroupe treize personnages grandeur nature, aux vêtements recherchés et à l’expressivité intense. Le Christ mort est porté par Nicodème et Joseph d’Arimatie , avec à ses pieds Marie-Madeleine. A droite, une femme tient la couronne d’épines. Au second plan, la Vierge est soutenue par saint Jean et Marie Cléophas , accompagnés de l’Ange appuyé contre la croix. A droite, deux soldats jouent aux dés sous le regard de saint Longin. Au fond à gauche, Marie-Salomé prépare le tombeau. A l’origine, cet ensemble devait comporter une scène de crucifixion, ce qui peut expliquer la présence de personnages extérieurs aux scènes de mise au tombeau. La maîtrise de l’anatomie, la gestuelle et l’expressivité des personnages montrent l’influence de l’art italien dont le sculpteur a pu s’inspirer grâce à la diffusion des gravures, même s’il n’est jamais allé en Italie. L’Enfant Jésus et la Tête de saint Jérôme , conservées au musée du Louvre proviennent de la collégiale Saint-Maxe de Bar-le-Duc, abandonnée en 1782, puis détruite à la Révolution ; de même la petite Tête de Christ conservée à la Société d’Histoire du Protestantisme français à Paris.
Sculpture funéraire L’église Saint-Étienne de Bar-le-Duc abrite sans doute l’œuvre la plus connue de l’artiste : le Monument du cœur de René de Chalon (après 1544, avant 1557), offrant l’image d’une
saisissante figure grandeur nature, squelette décharné debout, auquel tiennent encore des lambeaux de chair et de peau, tenant à bout de bras son cœur, le bras gauche levé, évocation du « bras armé », emblème de la maison de Lorraine. De son bras droit replié contre son torse descend un cartouche sans inscription, symbole de l’anonymat de la mort. Selon Michèle Beaulieu, il s’agit là d’un symbole de la Résurrection . L’œuvre provient de la collégiale Saint-Maxe de Bar-le-Duc, abandonnée en 1782, puis détruite à la Révolution. Cette sculpture surmontait à l’origine le tombeau du cœur et des entrailles de René de Chalon, prince d’Orange et gendre du duc Antoine de Bar et de Lorraine qui est tué en 1544 lors du siège de Saint-Dizier par Charles Quint.
Le gisant de Philippe de Gueldre , seconde épouse de René II de Lorraine, morte en 1547,
est conservé aujourd’hui au musée lorrain à Nancy . Le réalisme du visage et des mains ont frappé Delacroix lors de sa visite au musée. Sur un tombeau de marbre noir, le gisant de la duchesse de Lorraine est représenté en habit de clarisse, la tête légèrement de côté reposant sur un coussin. À ses pieds, une jeune clarisse, agenouillée, soulève une couronne royale qui rappelle les titres de celle qui fut reine de Sicile et de Jérusalem ainsi que duchesse de Lorraine et de Bar.
Le monument funéraire de René II de Beauvau et de Claude de Baudoche (vers 1550), conservé au musée lorrain de Nancy, représente les deux époux allongés sur une dalle de
pierre, les mains jointes. Claude de Baudoche est revêtue d’une longue robe ornée d’un chapelet suspendu à la taille. René de Beauvau, en armure, porte son épée à gauche. La cotte d’armes placée sur l’armure représente les armes de la famille de Beauvau (quatre lionceaux armés et couronnés) et de Craon (losangé d’or et de gueule).