Lettre de Calvin
aux « prisonnières de Paris » (septembre 1557)
Les prisonnières de Paris auxquelles Calvin s’adresse sont pour la plupart des dames de la noblesse qui ont été emprisonnées dans les cachots du Châtelet à la suite de leur arrestation lors de l’assemblée de la rue Saint-Jacques.
Je ne m’esbahis point, très chères sœurs, si vous estes estonnées en ces durs assaults, et sentez les répugnances de vostre chair, laquelle faict d’aultant plus ses efforts que Dieu veut besongner en vous par son Sainct Esprit. Si les hommes sont fragiles et aisément troubléz, la fragilité de vostre sexe est encores plus grande, voire selon le cours de nature. Mais Dieu qui besongne ès vaisseaux fragiles, sçait bien montrer sa vertu en l’infirmité des siens. Parquoy c’est à luy qu’il vous fault avoir vostre recours, l’invoquant continuellement et le priant que la semence incorruptible qu’il a mise en vous, et par laquelle il vous a adoptéz pour estre au nombre de ses enfans, produise ses fruicts au besoing, et que par icelle vous soiez fortiffiées pour résister à toute angoisse et affliction. Vous sçavez ce que dict sainct Paul : que Dieu a esleu les choses folles de ce monde pour confondre les sages, et a esleu les choses infirmes pour abatre les fortes, les choses contemptibles et mesprisées pour destruire celles qui sont grandes et de hault prix. Celà vous doibt bien encourager, affin que la considération de vostre sexe ne vous face défaillir, encores que souvent il soit mesprisé par les hommes. Car quelque hautains et orgueilleux qu’ils soyent , et que par mespris et desdain ils se mocquent de Dieu et de tous ceux qui le servent, si sont-ils contraincts d’avoir en admiration sa vertu et sa gloire partout où ils la voyent reluire. Et d’aultant que le vaisseau par lequel Dieu besongne sera débile, d’aultant seront-ils estraints et enserréz en eux-mesmes de la vertu de Dieu à laquelle ils ne peuvent résister.
Vous voyez que la vérité de Dieu, quelque part qu’elle se trouve, leur est odieuse, et qu’elle n’est pas moins haye d’eux ès hommes qu’ès femmes, ès savans qu’ès idiots) ès riches qu’ès poures ; ès grans qu’ès petits. Que s’ils prennent occasion du sexe ou de la qualité extérieure, de nous courir sus davantage, (comme nous voyons qu’ils se mocquent des femmes et des poures gens méchaniques, comme s’il ne leur appartenoit point de parler de Dieu, et congnoistre leur salut !), sachons que tout cela est en tesmoignage contre eux et à leur grande confusion. Mais puisqu’il a pleu à Dieu de vous appeller à soy aussi bien que les hommes, (car il n’a esgard ne à masles ne à femelles), il est besoing que faciez vostre debvoir pour luy donner gloire, selon la mesure de grâce qu’il vous a départie, aussy bien que les plus grans personnages qu’il a douéz de haulte science et vertu. Puisque Jésus-Christ est mort pour vous et par luy espërez salut ; aians esté baptizées en son nom, il ne faùlt point estre lasches à luy rendre l’honneur qui luy appartient. Puisque nous avons un salut commun en luy, il est nécessaire que tous d’un commun accord, tant hommes que femmes, soustiennent sa querelle. Quant il nous mect au combat et à l’espreuve contre ses ennemys, d’alléguer là-dessus nostre infirmité, pour l’abandonner ou renier, il ne nous profite de rien ; sinon pour nous condamner de desloyauté. Car celuy qui nous met en bataille, nous garnit et munit quant et quant d’armes nécessaires ; et nous donne adresse pour en user. Il ne reste que de les accepter et nous laisser gouverner à luy. Il a promis de nous donner bouche et sagesse à laquelle nos ennemys ne pourront résister. Il a promis de donner fermeté et constance à ceux qui se fient en luy. Il a espandu de son Esprit sur toute chair, et faict prophétizer fils et filles, comme il avoit prédit par son prophète Joël, qui est bien signe qu’il communique semblablement ses autres grâces nécessaires, et qu’il ne destitue ne fils ne filles, ne hommes ne femmes, des dons propres à maintenir sa gloire. Il ne fault donc estre paresseux à les luy demander, ne lasches à les recevoir, et en user au besoin quand il nous les a départis. Considérez quelle a esté la vertu et constance des femmes à la mort de nostre Seigneur Jésus-Christ, et que lorsque les apostres l’avoient délaissé, elles ont persisté avec luy en merveilleuse constance, et qu’une femme a esté la messagère pour annoncer aux apostres sa résurrection, laquelle ils ne pouvoyent croire ne comprendre. S’il les a lors tant honorées et douées de telle vertu, estimez-vous qu’il ait moins de pouvoir maintenant, et qu’il ait changé de volonté ? Combien y a-t-il eu de milliers de femmes qui n’ont espargné leur sang ne leur vie, pour maintenir le nom de JésusChrist et annoncer son règne ? Dieu n’a-t-il point faict profiter leur martyre ? Leur foy n’ a-t-elle point obtenu gloire du monde, aussy bien que celle des martyrs ? Et sans aller plus loin, ne voyons-nous point encores devant nos yeux comment Dieu besongne journellement par leur tesmoignage et confond ses ennemis, tellement qu’il n’y a prédication de telle efficace que la fermeté et persévérance qu’elles ont à confesser le nom de Christ ? Ne voyez-vous pas comme ceste sentence de nostre Seigneur a esté vivement enracinée en leur cœur, par laquelle il dit : Celuy qui me renonce devant les hommes, je le renonceray devant Dieu mon Père ; et celuy qui me confessera, je le confesseray aussi, et advouëray debvant Dieu mon père. Elles n’ont pas eu crainte de laisser ceste vie caduque pour en obtenir une meilleure pleine de béatitude qui dure à jamais. Proposez-vous donc ces exemples si excellens, tant anciens que nouveaux, pour asseurer à vostre foiblesse, et vous reposer en celuy qui a fait si grans ouvrages par des vaisseaux fragiles, et congnoissez l’honneur qu’il vous a fait, afin de vous laisser conduire à luy, estans bien asseurées qu’il est puissant pour vous conserver la vie, s’il s’en veut encores servir, ou bien s’il en veut faire échange pour vous en donner une meilleure, vous estes bienheureuses d’employer ceste vie caduque pour sa gloire de si hault prix, et pour vivre éternellement avec luy. car à cela sommes-nous mis au monde, et illuminez par la grâce de Dieu, à ce que nous le glorifions et en nostre vie et en nostre mort, et que nous soyons une fois pleinement conjoints à luy.
Le Seigneur vous face la grâce de mesditer attentivement ces choses et les bien imprimer en vos cœurs, afin de vous conformer du tout à sa bonne volonté. Ainsi soit-il.
(Genève, septembre 1557)
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