Les protestants face à la mort
L’au-delà n’est pas un thème majeur de la théologie protestante. La cérémonie d’enterrement, très réduite au XVIe siècle apparaît au XIXe siècle : elle est destinée aux vivants et non au mort. La sépulture des protestants connaît bien des vicissitudes jusqu’au milieu du XVIIIe siècle.
La résurrection dans la Bible
Le thème de la résurrection n’existe pas dans l’ancien Israël.
Plus tard, après l’exil des Hébreux à Babylone, l’idée de la résurrection apparaît, sous l’influence perse. La résurrection devient espérance au premier siècle chez une grande partie des Juifs mais elle fait encore débat.
Dans le Nouveau Testament, la résurrection de Jésus-Christ a un caractère unique. Mais tandis que certains textes des Évangiles suggèrent une résurrection universelle, d’autres évoquent une résurrection des justes ou de ceux qui sont dignes d’y accéder. L’apôtre Paul dans ses épîtres donne beaucoup d’importance à la résurrection. Dans la première épître aux Corinthiens (chapitre 15), la résurrection, entendue comme un retour des défunts à une vie corporelle, est associée à la fin des temps. Ainsi dans la première épître aux Thessaloniciens (chapitre 4), il réconforte ses interlocuteurs dans le deuil : afin que vous ne vous attristiez pas comme les autres, qui n’ont pas d’espérance… le Seigneur lui-même… descendra du ciel, et ceux qui sont morts dans le Christ se relèveront d’abord. Ensuite, nous, les vivants qui restons, nous serons enlevés ensemble avec eux, dans les nuées à la rencontre du Seigneur …
La peur de la mort et du jugement au Moyen Âge
Chez les chrétiens du Moyen Âge, la peur de la mort est liée à la perspective du jugement dernier, la vérité de la personne étant alors dévoilée et sanctionnée.
A partir du XVe, la danse macabre est un thème fréquent de peinture sur les murs des églises, des chapelles et surtout des galeries entourant les cimetières : la mort, représentée par un squelette, entraîne des gens de tous âges et de toutes conditions dans une ronde frénétique. Ces peintures reflètent l’atmosphère d’angoisse qui règne à cette époque. En effet l’ Europe avait connu, outre la famine et la guerre, de terribles épidémies de peste, notamment au XIVe siècle.
De nombreuses scènes de jugement dernier, présidées par le Christ, sont représentées au tympan des Eglises romanes et gothiques. C’est le jugement qui décide de la destination après la mort :
- le paradis où vont ceux qui sont dignes d’être sauvés,
- l’enfer pour ceux qui ont « mérité » la damnation,
- le purgatoire qui permet à ceux qui ne sont pas damnés, mais qui ne sont pas dignes du paradis, de se purifier en attendant d’y entrer (doctrine du concile de Lyon en 1274).
Pour racheter leurs fautes et assurer leur salut personnel, certains entreprennent des pèlerinages dans des lieux éloignés, notamment à Jérusalem, à Rome, à Saint-Jacques-de-Compostelle, s’exposant aux risques de longs et dangereux voyages .
Pour abréger la durée du séjour au purgatoire, l’Église propose, en plus des messes, des indulgences et va jusqu’à les mettre en vente, pour financer la construction de la basilique Saint-Pierre à Rome. C’est un élément déclencheur de la Réforme.
La Réforme et l'au-delà
En réaction contre la doctrine catholique du salut par les oeuvres, la Réforme proclame la gratuité du salut qui vient de Dieu et qui ne dépend en rien du mérite.
De même, en invoquant la gratuité du salut, les réformateurs refusent le purgatoire qui n’a aucune référence biblique. Pour eux, la vie présente a pour but de manifester le salut que Dieu nous accorde en Jésus Christ. Ainsi les oeuvres peuvent être fondées sur la reconnaissance envers Dieu qui sauve et non pas effectuées dans l’espoir d’une rétribution divine.
Luther propose une interprétation de l’au-delà : soit la communion avec Dieu soit la séparation d’avec Dieu et ceci dès la vie terrestre. Luther est réservé sur l’immortalité de l’âme.
Calvin au contraire considère que l’immortalité de l’âme est le propre de l’homme, ce qui le distingue des animaux, et à la fin des temps Dieu redonnera leur corps aux âmes
Les deux réformateurs ont cependant bien conscience que les mots qu’ils utilisent pour parler de l’au-delà sont des images et ne fournissent pas un savoir sur la vie éternelle. En tout cas les spéculations sur ce qui arrive après la mort ne doivent pas nous détourner des tâches présentes. L’Évangile ne nous est pas donné pour satisfaire notre curiosité mais pour nous placer dans la lumière des promesses qui l’éclairent.
Aujourd’hui la majorité des pasteurs luthériens et réformés annoncent la grâce de Dieu pour tous, tandis que la déclaration de foi de l’Alliance évangélique proclame la résurrection de tous pour le jugement ou pour la vie.
L'enterrement chez les protestants
Au XVI° siècle, Luther rejette l’extrême onction et toute cérémonie entourant la mort au motif que le Christ n’a institué que deux sacrements (baptême et sainte cène) et seulement pour les vivants. La Réforme transforme ainsi l’attitude devant la mort : les défunts étant dans la main de Dieu, il est impossible pour les vivants d’influencer le sort des morts et il n’y a pas lieu de prier pour eux. La mort et l’enterrement se placent en dehors de l’Église. Le pasteur ne doit même pas être présent à l’enterrement. Le lieu d’ensevelissement est indifférent.
Plus sévères encore que les luthériens dans leur rejet des pratiques catholiques, les réformés vont jusqu’à interdire l’éloge du défunt. Calvin exige d’être enterré dans un lieu ignoré de tous. La discipline ecclésiastique de Calvin dispose que le pasteur ne fait aucune prière ou prédication pendant les enterrements et les cloches ne doivent pas sonner, ceci pour prévenir toute superstition. Seule est autorisée une prière au temple au retour du cimetière.
Au XVIIe siècle, le pasteur Charles Drelincourt (1595-1669) refuse même le deuil parce qu’il le considère comme une attitude trop mondaine.
Sous la pression des familles et pour éviter des conversions au catholicisme, une évolution s’est produite à la fin du XIX° siècle : depuis cette époque, les pasteurs président les cultes de service funèbre au temple, ou dans un autre lieu, mais ces services s’adressent aux vivants, ils ont pour but d’annoncer l’Évangile en vue de la consolation des affligés, de l’édification de l’Église et de l’évangélisation. On ne prie pas pour le mort, toutefois la liturgie luthérienne du service funèbre comporte une remise du défunt à Dieu, qui est une sorte de bénédiction du mort.
La cérémonie dite « service d’actions de grâce » est toujours très demandée, même dans les familles peu pratiquantes. Il ne doit pas y avoir de panégyrique du défunt mais, très souvent, des membres de la famille et des amis apportent leur témoignage pendant la cérémonie.
Celle-ci se déroule en général, mais pas toujours, en présence du corps du défunt. Dans certains lieux du Languedoc et des Cévennes, le cercueil n’est pas admis dans les temples réformés. Ce principe est toujours en vigueur à Nîmes mais le conseil presbytéral peut accorder des dérogations. L’inhumation au cimetière a lieu en présence du pasteur. Elle peut précéder le service au temple.
Aujourd’hui, l’Église ne refuse pas son assistance à ceux qui la demandent dans le deuil. Les statistiques de l’Église réformée de France révèlent d’ailleurs une proportion importante de célébrations de services demandés par les familles pour des non protestants.
Les lieux d'enterrement des protestants
En France dans la deuxième moitié du XVI° siècle, les enterrements des protestants ne sont plus possibles dans la terre « sacrée » des cimetières et même dans les terrains les jouxtant. L’ édit d’Amboise en 1562 leur impose l’enterrement de nuit, c’est-à-dire à la pointe du jour ou au couchant. L’édit de Nantes en 1598 accorde officiellement aux protestants des lieux pour installer leurs cimetières dans lesquels ils ont le droit d’enterrer leurs morts de jour. Trois cimetières protestants sont officiellement utilisés à Nîmes.
Mais en 1685, quelques mois avant la Révocation de l’édit de Nantes, un arrêt du Conseil d’État interdit aux réformés d’avoir des cimetières dans les lieux où le culte n’est plus exercé et, à partir de la Révocation, le culte est interdit et par conséquent aussi l’enterrement des pratiquants de « la religion prétendue réformée » : ils sont réputés ne plus exister dans le royaume. Les cimetières de Nîmes sont repris par les catholiques en 1688. Pendant la période qui suit la Révocation, l’Église du Désert cherche des endroits d’inhumation pour éviter que les corps soient jetés à la voirie. C’est dans la clandestinité que les protestants doivent enterrer leurs morts. Les protestants des villes utilisent les caves de leurs maisons ou leurs jardins, tandis que dans les propriétés rurales un champ est consacré à l’ensevelissement, d’où la multitude de petits cimetières privés dans les Cévennes, le Languedoc et le Poitou, d’ailleurs encore en usage aujourd’hui.
En 1736 il est institué une procédure devant le juge permettant l’inhumation des réformés. Dans cette procédure laïque, le curé, qui avait le monopole de l’état civil, n’intervient plus : le roi peut ainsi savoir qui meurt dans son royaume et vérifier les conditions d’inhumation. En 1776, pour des raisons de salubrité publique, des lettres patentes du roi imposent le transfert des cimetières hors des agglomérations. L’édit de tolérance de 1787 permet à nouveau aux protestants d’enterrer leurs morts dans des cimetières. Les municipalités doivent fournir un cimetière aux sujets non catholiques et des cimetières protestants peuvent à nouveau être créés.
Aujourd’hui les protestants sont enterrés dans les cimetières municipaux et dans les quelques cimetières protestants qui existent ainsi que dans les tombes privées des propriétés. La pratique de la crémation est en progression chez les protestants comme dans l’ensemble de la population.
Avancement dans le parcours
Bibliographie
- Livres
- DELUMEAU Jean, La peur en Occident, Fayard, Paris, 1978
- GAGNEBIN Laurent, J’ai peur de la mort, Van Dieren éditeur, Paris, 2016
- GOUNELLE André et VOUGA François, Après la mort, qu’y a-t-il ?, Éditions du Cerf, Paris, 1990
- Articles
- SCHLUMBERGER Laurent, « Qu’est-ce que la prédication chrétienne doit dire sur ce qui suit la mort ? », Études théologiques et religieuses, 1991
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