Alexis Muston (1810-1888), pasteur-historien

Fils de pasteur et héritier d’une dynastie pastorale vaudoise, Alexis Muston s’engage à son tour dans des études de théologie protestante, à Lausanne puis à Strasbourg. Il se découvre une passion pour la poésie, et publie un premier recueil à l’âge de vingt ans. Il suit également des cours de sciences naturelles et de médecine. Mais naît surtout sa vocation de pasteur-historien, puisqu’il consacre ses quatre thèses de théologie (le baccalauréat, deux licences et le doctorat) à l’histoire de la minorité religieuse dont il est issu. Il publie son doctorat en 1834, sous le titre Histoire des vaudois des vallées du Piémont et de leurs colonies, des origines jusqu’à nos jours : son livre est la première histoire moderne des vaudois.

Consacré pasteur en 1833, Muston rentre à Torre Pellice, et exerce son ministère dans le petit village de Rodoretto. Mais ses sympathies libérales, son soutien aux idées de liberté religieuse et son attachement à la modernité le placent en porte-à-faux avec les autorités ecclésiastiques locales comme avec l’administration piémontaise. En janvier 1835, un mandat d’arrêt est lancé contre lui, et Muston choisit de quitter son pays natal. Il trouve refuge en France, où il est nommé pasteur à Bourdeaux (Drôme) en 1836. Il y exerce son ministère pendant plus de cinquante ans, soignant aussi bien les âmes que les corps. Il s’y marie avec Clémentine de Saulces de Latour.

Alexis Muston est l’auteur d’une œuvre historiographique importante, centrée sur les Vaudois. Son livre monument (2000 pages), L’Israël des Alpes, publié en 1852, retrace l’histoire de cette communauté dissidente depuis Vaudès (XII^e siècle) jusqu’à l’époque moderne. L’ouvrage repose sur une solide documentation, collectée dans les archives des vallées et enrichie par les correspondances et témoignages oraux. Il se distingue par une écriture vivante, militante, qui vise à réhabiliter les vaudois comme précurseurs de la Réforme et comme martyrs de la liberté de conscience. Muston conçoit l’histoire comme un instrument de lutte identitaire et théologique, au service de la mémoire et de la défense de sa communauté. L’Israël des Alpes connaît un succès durable, notamment dans les milieux protestants français, suisses et anglais, et contribue à inscrire les vaudois dans la mémoire collective des minorités religieuses persécutées.

Outre ses travaux d’historien, Muston est un témoin privilégié de son temps : homme de gauche, il est partisan des nationalités et des révolutions contre les monarchies conservatrices.

Il entretient une amitié étroite avec Giuseppe Mazzini, figure centrale du nationalisme italien, rencontré à Genève ; leur correspondance révèle un partage d’idéaux : foi dans le progrès, dans la liberté des peuples et dans l’unité morale de l’Europe… Muston défend le Risorgimento, le mouvement d’unification italienne.

Muston tient un journal quasi quotidien entre 1830 et 1887 : il y consigne ses rencontres notamment avec Edgar Quinet, Jules Michelet, Félicité de Lamennais ou Frédéric Mistral, ses lectures, ses réflexions sur l’histoire, la politique, la religion. Il y exprime aussi ses doutes, ses frustrations, et son regard lucide sur l’exil, l’engagement et les tensions du siècle.

Longtemps oublié, Alexis Muston connaît aujourd’hui un regain d’intérêt. Alexis Muston incarne la figure du pasteur-érudit : excellent dessinateur, il a laissé un millier des dessins et d’aquarelles sur les paysages de Bourdeaux et d’ailleurs, comme sur les détails de la vie locale ; entomologiste, il est également passionné par la botanique et constitue un très bel herbier ; bibliophile, il détient une bibliothèque d’environ 500 titres… Son Journal, resté inédit, a fait l’objet d’une publication partielle (pour les années 1825-1850).

Muston est aujourd’hui reconnu comme une figure originale du protestantisme intellectuel du XIX^e siècle, dont le témoignage éclaire les dynamiques croisées de religion, d’exil, de nationalisme et d’humanisme dans une Europe en mutations.