Les protestants
et le régime de Vichy
Au moment de la défaite de juin 1940, l’attitude des protestants fut celle de la majorité des Français : faire confiance au Maréchal Pétain. Mais la rupture avec le régime de Vichy fut précoce, dès octobre 1940, déclenchée par la persécution des juifs.
La France résignée ?
Pendant la drôle de guerre (1939-1940), le synode national de l’Église Réformée de France (ERF) affirme « la nécessité de soutenir la France dans cette guerre qui lui a été imposée ». Après l’effondrement de l’armée française, le régime de Vichy apparaît légitime à la plupart des 800 000 protestants français partagés par la ligne de démarcation qui distingue la zone d’occupation (Nord et façade atlantique, dont les 200 000 à 300 000 Luthériens de l’Est) et la zone non occupée de la France du sud (500 000 à 600 000 réformés).
Dans cette situation tragique, où l’armistice (17 juin 1940) est annoncé comme inéluctable par le Maréchal Pétain, où le gouvernement demande les pleins pouvoirs et renvoie « sine die » le Parlement, « la difficulté était non pas de faire son devoir, mais d’abord de le discerner » (François de Labouchère). La plupart des Français fait confiance au Maréchal, respecté à gauche pour avoir ménagé le sang des troupes lors de la Première Guerre, adulé à droite pour avoir dit sa « nausée » des partis politiques. Une partie de la communauté protestante accepte le nouveau régime et accueille avec intérêt l’effort de redressement national et moral : certains thèmes de l’idéologie de la « Révolution Nationale », résumés par la devise « Travail, Famille, Patrie » sont jugés positifs par certains pasteurs, mais rejetés par la plupart dans la mesure où ils signifient le refus de la devise républicaine Liberté, Égalité, Fraternité, à laquelle les protestants sont très attachés.
Zone Libre, zone occupée, deux situatitons contrastées
Dans la zone sud non occupée jusqu’en novembre 1942, les autorités religieuses ne sont en rapport qu’avec Vichy. En janvier 1941, le pasteur Marc Boegner, président de la Fédération protestante de France, soucieux d’appliquer une politique de présence permettant la protection de la communauté protestante, accepte de siéger au Conseil national de l’État français, avec trois autres protestants.
Dans le zone nord, occupée, les responsables religieux dépendent des occupants, qui se méfient des Églises considérées comme des adversaires idéologiques. Les autorités allemandes redoutent l’anglophilie du pasteur Boegner et le « lien spirituel entre le protestantisme français et le monde anglo-saxon ». Déjà le 10 juillet 1940, le pasteur André-Numa Bertrand, responsable du protestantisme en zone occupée, s’était écrié : « le mal n’est pas d’être vaincu, le mal est de perdre son âme ; et il semble bien que la France – officielle- ait perdu la sienne ». Mais la liberté du culte est préservée, car elle ne s’oppose pas à la politique d’occupation.
Par contre, dans les territoires annexés de fait d’Alsace et de Lorraine, la politique de nazification interdit la presse chrétienne, ferme les écoles religieuses, les étudiants de la Faculté théologique de Strasbourg sont dirigés sur Tübingen.
Jusqu’à la fin de la guerre, très peu de protestants seront des « pétainistes actifs », comme le contre-amiral Platon anglophobe et antisémite, ou le pasteur Noël Nougat dit Vesper. Son anti-judaïsme s’exprime sous la forme d’un antisémitisme virulent. Mais s’il affiche ses positions politiques, il ne collabore pas avec les Allemands. C’est sa femme qui est accusée de collaboration avec la Milice, et c’est par solidarité avec elle qu’il partage son exécution en juillet 1944.
Le refus protestant
En revanche, beaucoup de protestants ont très vite rejeté les principes de la Révolution Nationale, la nature réelle du régime se dévoilant progressivement et s’alignant sur l’idéologie nazie . Plusieurs facteurs peuvent être invoqués :
- le fait d’appartenir à une minorité ayant été persécutée,
- la structure du protestantisme en communautés plus ou moins autonomes, plus propice à la contestation que ne l’était la hiérarchie catholique,
- la crainte pour certains de voir le régime de Vichy revenir à un intégrisme catholique,
- l’anti-républicanisme de plus en plus affiché par Vichy,
- une plus grande ouverture au monde extérieur (lecture du Journal de Genève, écoute de la radio genevoise de Sottens),
- le rôle des femmes si important dans la résistance spirituelle et dans l’action humanitaire de la Cimade.
Par ailleurs, la Revue « Foi et vie », dirigée par Charles Westphal et Pierre Maury avait publié dès janvier 1941, malgré la censure, la « Lettre aux protestants de France » de Karl Barth (octobre 1940) prônant la résistance à l’hitlérisme : ce dernier fut un adversaire inlassable du régime nazi et l’inspirateur de l’Église confessante, s’opposant aux Deutschen Christen imposés par Hitler. Cette lettre fut diffusée par les pasteurs Roland de Pury et Georges Casalis.
En septembre 1940, Marc Boegner demande aux protestants de ne pas s’engager dans la Légion française de combattants, car le serment d’allégeance vis-à-vis du Maréchal lui semblait ouvrir la voie à des engagements pleins d’ambiguïtés.
La rupture
Le signe de la rupture avec le régime de Vichy fut, en mars 1941, provoqué par les mesures antisémites. Durant l’été, le pasteur Boegner proteste officiellement contre les déportations des juifs dans une lettre du 20 août 1942 adressée au maréchal Pétain. Le 22 septembre 1942, le conseil national de l’ERF adresse aux pasteurs une lettre à lire, en chaire, le 4 octobre dans toutes les paroisses, qui déclare notamment : « l’ERF ne peut garder le silence devant les souffrances de milliers d’êtres qui retrouvent (à vérifier) asile dans notre sol (…). L’Évangile nous ordonne de considérer tous les hommes sans exception comme des frères (…). L’Église se sent contrainte de faire entendre le cri de la conscience chrétienne ».
L’instauration en mars 1943 du STO (Service du travail obligatoire) pour les jeunes nés en 1920-1922, favorisera la Résistance et alimentera les maquis.
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