Jacques Maury (1920-2020)
Pasteur, infatigable témoinLe pasteur Jacques Maury (1920-2020) a exercé de nombreuses responsabilités dans les instances paroissiales, associatives, institutionnelles, du protestantisme français, ainsi que dans celles de l’œcuménisme. Il a, par ses capacités de travail, d’écoute, de dialogue, par sa bienveillance évangélique, largement contribué à rendre le monde protestant attentif aux problèmes, aux événements, aux transformations économiques et sociales qui ont marqué la seconde moitié du 20ème siècle.
Une famille qui compte beaucoup de pasteurs et de théologiens.
Jacques Maury est né le 10 novembre 1920 dans une famille qui compte nombre de pasteurs réformés dans ses ascendants et ses collatéraux. Sa mère, née Elisabeth Meyer, est fille de pasteur. Son père, le pasteur Pierre Maury (1890-1956) a renouvelé la réflexion théologique, éthique, évangélique, dans les milieux protestants français, en particulier du fait de ses liens de travail et d’amitié fructueux avec Karl Barth (1887-1968). Son grand’père, Léon Maury (1863-1931), dernier Doyen de Faculté de théologie de Montauban, avant le relais de Montpellier qu’il a rendu possible, fut aussi un grand éveilleur d’idées. Cet héritage, tant théologique que pastoral, a été pour lui une source de réflexion essentielle, comme il l’a été pour son frère Philippe (1916-1967) qui a exercé d’importantes responsabilités au Conseil œcuménique des Eglises, ainsi que pour leur sœur Nicole, laquelle a partagé avec son époux, le pasteur Raymond Berthoud, nombre de responsabilités pastorales et institutionnelles. Leur cousin André Dumas (1918-1996) en a été aussi profondément imprégné.
Années de jeunesse
Il grandit, d’abord à Ferney-Voltaire où son père est pasteur, après avoir été Secrétaire général de la Fédération française des Associations chrétiennes d’Etudiants. En 1934, la famille s’installe à Paris où Pierre Maury rejoint, à la paroisse de Passy-Annonciation, le pasteur Marc Bœgner.
En 1938, il s’engage dans des études de philosophie et de théologie à Montpellier, lesquelles sont un temps suspendues par ses activités dans la résistance : avec André Dumas, il rejoint l’équipe de la CIMADE qui a réussi à s’introduire dans le camp d’internement de Rivesaltes (Pyrénées orientales). En 1943, il achève ses études à la Faculté de théologie de Paris ou son père est professeur. Puis il rejoint la deuxième DB du général Leclerc et fait partie de l’armée d’occupation à Berchtesgaden. Dans cette période difficile, il a fait la connaissance d’un jeune théologien dont il a toujours gardé la mémoire, Yann Roullet (1915-1944). Ils auraient sûrement travaillé ensemble, si celui-ci (qui faisait partie du réseau de résistance de Léonce Vieljeux), n’avait pas été déporté et assassiné au camp du Struthof.
En 1946, il épouse Rosine Stœcklin. Elle est médecin. Elle est très musicienne. Elle est engagée dans les activités de la paroisse de Passy. Elle rejoint, dès ses débuts, le mouvement Jeunes Femmes (fondé en 1946 par Suzette Duflo au moment où les femmes se voient reconnaître le droit de vote). Elle est l’une des fondatrices du Collectif Féministe Contre le Viol.
Ils ont six filles.
Pasteur dans le Poitou et premières responsabilités à la Fédération française des associations chrétiennes d'étudiants
Consacré (par son père) en 1947, il devient pasteur de la paroisse de Lezay, en Poitou. C’est de longue date une région où le protestantisme s’épanouit puisque, après la Révocation de l’Edit de Nantes, beaucoup de paroisses catholiques locales lui ont ouvert des registres d’état-civil sans obligation de conversion.
Dès ce moment, il sait associer les activités paroissiales et locales à des instances de réflexion élargies, régionales ou nationales. Il travaille avec des personnes qui, comme lui, ont été sensibles aux questions venues de la théologie dialectique, telles que posées par Karl Barth, Dietrich Bönhœffer, Rudolf Bultmann. Ce sont des théologiens et pasteurs – Jean Bosc, André Dumas, Georges Casalis, Henri Hatzsfeld, Jean-Paul Meyer, Michel Leplay, Louis Simon, Michel Wagner etc. Ce sont aussi des laïcs engagés dans le protestantisme : certains sont universitaires – Jacques Ellul, Paul Ricœur, Henri Burgelin – et certains sont actifs dans le monde du service public, d’autres exerçant des professons libérales – André Gorz, Claude Gruson, Jacques Walch. Ce sont encore des catholiques – le père Congar, le père Chenu et d’autres. Ils sont tous soucieux de travailler pour approcher les problèmes du temps présent.
C’est ainsi qu’il devient très naturellement un interlocuteur pour les groupes de jeunesse protestants (scoutisme, aumôneries lycéenne et étudiante). En 1957, il est élu Secrétaire général de la Fédération française des Associations chrétiennes d’étudiants. Il réorganise le mouvement dans cette période difficile, celle de la Guerre d’Algérie, où la communauté protestante a vécu beaucoup de dissensions. Son écoute attentive a rendu possible des débats nécessaires, sinon apaisés.
Pasteur à Poitiers
Il reprend un ministère paroissial à Poitiers en 1960, lequel a durablement marqué ceux qui y ont été associés, tant lors des cultes dominicaux que dans de multiples occasions de rencontres et de réflexion.
Grâce à sa grande capacité de travail, il garde des responsabilités à la FFACE ; il est très présent dans les instances synodales, à la Fédération protestante de France, au Conseil œcuménique de Eglises, ce qui renforce ou crée des liens entre celles-ci. Il s’engage aussi dans le projet de la traduction française œcuménique de la Bible (la première édition complète est achevée en 1975).
Au cours de l’un de ses nombreux déplacements, il est victime d’un grave accident de train et doit subir une amputation de la jambe. Dès que cela lui est possible, il reprend l’ensemble de ses activités, préférant cependant la voiture ou l’avion au train, dans ses déplacements.
De l'ERF à la FPF
En 1968, c’est-à-dire au moment où des mouvements étudiants se déploient en France, en Italie, en Allemagne, le Synode national l’élit Président du Conseil national de l’Église réformée de France. Il est confronté à des situations difficiles. Il ne refuse jamais d’entendre l’impatience de ceux, étudiants, jeunes pasteurs, qui revendiquent une meilleure qualité des libertés individuelles dans un environnement instable et veulent quitter le monde religieux. Il mène à bien, avec Jacques Ellul, un projet de réforme des études de théologie, lequel a donné naissance en 1972 à la création de l’Institut protestant de Théologie. Désormais, les Facultés de Paris et de Montpellier étaient jumelées et les programmes d’enseignements enrichis.
Lorsqu’il devient Président de la Fédération protestante de France, en 1977, il en renouvelle l’organigramme et crée des instances de réflexion, tant sur des problèmes d’éthique en situation (création de la Commission d’éthique) que sur des questions économiques touchant à la construction européenne (création de la Commission sociale, économique et internationale, CSEI). Il y relance un souci œcuménique.
Président de la CIMADE
Atteint par l’âge de la retraite, en 1987, il n’en devient pas moins, en 1989, Président de la CIMADE. L’association est alors confrontée aux problèmes des réfugiés, lesquels ne cessent de s’amplifier du fait d’un climat international devenu souvent très violent dans la suite de la crise pétrolière et des retombées sociales de la dérégulation des marchés financiers. Il sait multiplier les liens et relais avec les paroisses
Il n’a jamais cessé de s’intéresser à tous ces problèmes.
Dans un article rédigé en 2014 pour la revue Libre Sens (n°216, novembre-décembre),il a écrit : « Les principaux événements qui ont marqué le 20ème siècle suscitèrent dans le protestantisme, comme dans l’ensemble de la société française, maints débats plus ou moins soutenus, mais qui pour l’essentiel d’entre eux, impliquèrent le constant renouvellement de la pensée culturelle et théologique des protestants sur les engagements possibles et nécessaires dans le domaine de la réflexion »Eglise-Monde ».
Il est mort le 12 avril 2020, jour de Pâques et laisse un héritage marqué de la qualité et la patience de son attention à autrui, proche ou lointain, par son exigence et son espérance évangélique.
Bibliographie
- Livres
- MAURY Jacques, W.A. Visser’t Hooft, pionnier de l’œcuménisme, Genève Rome, Préfaces du Cardinal Roger Etchegaray et du pasteur Konrad Raiser, Editions du Cerf/Les Bergers et les Mages, Paris, 2001
- ROULLET Yann, Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné, Plon, Paris, 1950
- SMYTH-FLORENTIN Françoise, Pierre Maury – Prédicateur d’Evangile, Labor et Fidès, Paris, 2009
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